Sciences cognitives

Pour apprendre, privilégiez l’action

 

Espaces naturels n°37 - janvier 2012

Le Dossier

Denis Brouillet
Professeur des universités en psychologie cognitive, responsable au sein du laboratoire Epsylon de l’équipe de recherche « Changements cognitifs et environnement ».

 

Agir pour apprendre. Si la pédagogie fonctionne, c’est que notre cerveau est ainsi conçu. Rencontre avec Denis Brouillet, professeur de psychologie cognitive.

La question environnementale est la question politique première. Politique, au sens grec de cité et de civilisation. À cette banalité, ajoutons-en une autre : c’est par l’éducation des enfants que l’on parviendra à modifier les comportements. Ceci acquis, l’obstacle réside dans la pédagogie à mettre en œuvre. Quelles méthodes de transmission des savoirs permettent d’intégrer des connaissances nouvelles ?
Pour répondre, la recherche doit s’orienter sur les processus cognitifs ou encore sur les activités mentales favorisant l’acquisition, la conservation et l’utilisation des connaissances.

Constructivisme. Professeur en psychologie cognitive à l’université de Montpellier, Denis Brouillet apporte son éclairage. Il explique que « notre connaissance du monde n’est pas une simple copie de notre environnement, copie que nous aurions stockée en mémoire. C’est une construction en perpétuel changement, liée à l’histoire de nos actions, réactions et interactions avec l’environnement. Une pédagogie efficiente prendra donc en compte ce constructivisme. »
Des propos qu’il éclaire d’un regard historique : « En 1897, Dewey a été l’initiateur du hands-on learning (apprendre par l’action). Il a montré que les connaissances s’enracinent dans l’expérience de la personne.
Ce que l’on appelle Le mouvement de l’éducation nouvelle (1889) est alors tout à fait adapté à une pédagogie de l’environnement.
En 1941, les apports de Freinet vont d’ailleurs dans le même sens. Le pédagogue défend que l’enfant doit apprendre selon le principe du tâtonnement expérimental, c’est-à-dire selon une démarche hypothético-déductive dans laquelle l’action tient une place prépondérante : on laisse l’apprenant émettre ses propres hypothèses quant à l’explication possible d’un phénomène. On lui permet de les conforter, ou non, par des expériences réelles qu’il fabrique lui-même.
L’action pédagogique vise à le guider pour poser une réflexion sur ses observations afin qu’il élabore des apprentissages. » La connaissance faisant partie intégrante de la personne, une telle démarche démontre l’inutilité du « par cœur ».
Revenant au présent, Denis Brouillet appuie ses dires : « Les travaux en sciences
cognitives actuels confirment cette vision. Ils montrent que les apprentissages sont plus efficients quand l’apprenant est actif : quand il ne se contente pas d’écouter. »

La cognition incarnée. Le rôle de l’action s’avère donc fondamental dans la construction des connaissances. Mais pourquoi ? « Un courant de recherche récent révèle l’apport majeur de la cognition incarnée et située. Ces recherches montrent que les processus cognitifs sont intimement liés aux processus sensorimoteurs, c’est-à-dire à nos expériences sensorielles (vue, ouïe, odorat, toucher, goût) et à nos actes moteurs. » Dit autrement : « Nos connaissances sont non seulement empreintes (elles en portent les traces) de sensorialité et de motricité, mais elles sont aussi constituées par nos interactions physiques avec notre environnement. »
Ainsi, « dans un ouvrage publié en 1982, W. Barsalou montre que la sensibilité des connaissances et des comportements est liée au contexte environnant. » Plusieurs recherches affinent ses découvertes. « En 1969, les travaux de Bach-y-Rita, Collins, Saunders et Scadden, soulignent l’importance des feedbacks moteurs au niveau perceptif. En 1991, Barsalou explique l’importance des simulations motrices dans la construction de la connaissance. Son travail sera confirmé par l’imagerie cérébrale (Goldberg, Perfetti, Schneider, 2006). En 1995, Jeannerod révèle le rôle des aires neuronales sensorimotrices dans l’imagerie mentale. »

Neurones actifs. « En 2008, Rizzolatti et Sinigaglia mettent en évidence l’existence de neurones miroirs (voir encart). Situés dans le cortex prémoteur, ces neurones sont actifs lorsqu’un individu observe un autre individu exécuter une même action et, même, lors de la perception simple d’un objet (neurones canoniques). Ces découvertes mettent en évidence le rôle fondamental de l’action dans l’apprentissage y compris par sa simple observation.
De ces recherches, on peut conclure que ce n’est pas en demandant à l’enfant d’apprendre les x commandements à respecter pour un développement durable qu’il aura les comportements adaptés à la protection de l’environnement. Il convient, plutôt, de le mettre en posture d’agir. Il découvrira par lui-même la dépendance réciproque existant entre lui et son environnement.
Apprentissage vicariant. « Une pédagogie à l’environnement ne saurait, non plus, négliger l’importance des adultes. Dans l’acquisition des connaissances certes, mais également dans les comportements qu’ils manifestent. Ainsi, le pédagogue qui accompagnera l’enfant dans sa démarche d’expérimentation doit, aussi, montrer par ses actes qu’il est en accord avec ce qu’il enseigne.
En situation d’apprentissage l’enfant se forme en marge du discours du maître proprement dit, notamment en regardant faire et en analysant les actions de celui qui sait faire.
On appelle cela l’apprentissage vicariant (Bandura, 1976). Ici encore, les connaissances issues de la cognition incarnée et située, à travers l’existence des neurones miroirs et l’importance des simulations motrices, montrent l’importance des actes que nous donnons à voir pour que la connaissance ne soit pas un simple effet de langage (fait ce que je dis et non ce que je fais), mais une connaissance constitutive de soi. » •