Méthodologie

C’est possible : suivre une population sans pouvoir identifier les individus

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Le Dossier

Perrine Gauthie
Cefe CNRS
John Thompson
Cefe CNRS
 

Impossible pour vous d’identifier si deux fleurs appartiennent à deux plantes différentes ? Tout n’est pas perdu, des protocoles de suivi des populations existent quand même.

Déclin, augmentation, stabilité… Les suivis démographiques ont vocation à identifier les dynamiques des populations, les causes de changements observés et les processus sous-jacents. Chez les plantes par exemple, ces études impliquent de repérer des individus et d’observer leurs transitions entre différents stades de vie : de graines à plantules jusqu’à l’état reproducteur.
Hélas, de tels suivis ne sont possibles que sur quelques espèces présentant des stades de vie bien différenciés, alors que la plupart des plantes ne se prêtent pas au jeu ! Comment, en effet, identifier les individus d’une graminée annuelle dont la densité peut dépasser les 500 plantes au m² ou, pour une plante à bulbe, plus de 250 pieds au m² (photos 1 et 2) ? Comment être sûr que telle tache appartient à tel individu chez une espèce clonale à rhizomes souterrains très extensifs (photo 3) ?
Ces problèmes sont classiques pour la flore, et récurrents chez les espèces protégées. Mais tout n’est pas perdu cependant ! Il est possible d’évaluer simplement la dynamique d’une population en travaillant conjointement à deux échelles. Voici un protocole qui permet de le faire.

Déterminer le taux d’occupation de l’espace par l’espèce. Ce suivi s’effectue à l’échelle de la parcelle. Pour cela, on figure une grille au sol. Dans chacun des carrés définis par les mailles de la grille, on note si l’espèce est présente ou non. Ce relevé peut être traduit sur une cartographie par des symboles marquant, tout simplement, la présence ou l’absence.
La taille de la maille devra, bien sûr, être adaptée à l’espèce. On veillera particulièrement à optimiser le nombre de mailles en fonction de la dimension de la population ; ceci pour consolider l’analyse des données.
Cette mesure peut être répétée à intervalles réguliers (tous les quatre ou cinq ans). Elle permet de suivre les changements d’occupation globale de la station ou d’un échantillon représentatif. Il suffit pour cela de comparer les cartographies.

Mesurer l’abondance de l’espèce. En parallèle, on travaille à une échelle plus fine, celle de la placette, afin de mesurer les variations d’abondance et d’occupation de l’espace dans la population. Pour ce faire, l’opérateur définit des placettes fixes. Il faut veiller à ce que leur implantation respecte la gamme de densité des populations : ne pas se focaliser sur le lieu où l’espèce est très présente ou a contrario, sous- représentée.
Ces placettes sont alors subdivisées en cellules dans lesquelles on retient (comme à l’échelle de la parcelle) la présence ou l’absence de l’espèce ; de plus, on comptera le nombre de fleurs, de tiges, de rosettes… pour quantifier l’abondance.

Calculer le taux de changement. La synthèse des deux approches s’effectue entre deux dates par une analyse des transitions des présences/absences sur la parcelle et de l’abondance sur chaque placette.
On peut alors calculer un taux de changement standardisé qui varie de -1 à +1 et permet de dire si une population est en expansion (valeurs positives) ou plutôt en régression (valeurs négatives), voire stable.
Même sans suivre les individus, ce protocole et ce type d’analyse standardisés permettent de comparer plusieurs espèces ou populations sur un même pas de temps.
Pour optimiser le suivi, il suffit de l’adapter aux caractéristiques biologiques et écologiques de l’espèce : échelle spatiale, nombre et taille de placettes, superficie à suivre. On n’identifie pas les individus… mais on peut suivre la population. •