Construire un projet de territoire autour de la solidarité écologique

 

Espaces naturels n°32 - octobre 2010

Études - Recherches

Olivia Delanoë
Inea Ingénieurs conseil
John Thompson
Cefe CNRS
 

Inscrit dans la législation des parcs nationaux, le concept de solidarité écologique prend également en compte les enjeux socioculturels.

Au cœur de la réforme des parcs nationaux, un concept : la solidarité écologique.
Point central de la loi du 14 avril 2006, il est utilisé pour fonder le périmètre optimal des parcs et pour motiver la décision des communes d’adhérer à la charte. Si ce concept1 relève de dynamiques et de fonctionnalités écologiques, il touche également à la dimension paysagère, culturelle, sociale et économique. Ces dynamiques dépassent les limites des aires protégées et intègrent les interdépendances écologiques entre territoires, nécessaires à la conservation de la biodiversité, des ressources naturelles, des services qu’elles rendent, et des usages associés. 
À ce titre, la solidarité écologique peut servir de support à la constitution d’un projet de territoire. Il est alors essentiel de comprendre les fondements de ce concept qui se conjugue autour de six critères.

Les trois premiers critères se focalisent sur l’organisation spatiale des composantes d’un territoire.

1. La fonctionnalité et l’intégrité
de grands ensembles ou systèmes.
Un premier regroupement pertinent pour l’examen de la dimension spatiale des enjeux de biodiversité concerne les grands ensembles fonctionnels tels que les bassins versants et les grands paysages (forestiers, mosaïque agro-pastorale…). Il s’applique également à l’identité sociale et culturelle et aux activités intégrées dans le paysage qui concourent à son caractère. Ce type de solidarité écologique renvoie aux notions de fonctions et de services des écosystèmes et à la nécessité de maintenir leur intégrité.

2. Les continuités écologiques
et la cohésion territoriale.
Une deuxième représentation s’articule autour de la nécessité de protéger un habitat continu dont la surface assure le maintien durable des espèces qui y sont inféodées. En termes culturels, ceci se traduit par la cohésion sociale d’un territoire ou l’envie de vivre ensemble, conférant une identité au groupe social. Il s’agit de définir l’étendue et la configuration spatiale de l’habitat d’une espèce, du cadre de vie d’une population, du contexte d’une activité bénéfique pour l’environnement.

3. La complémentarité des sites.
La composition des communautés d’espèces connaît souvent une très forte variabilité spatiale. Il existe ainsi une complémentarité entre sites, chaque site contenant une partie seulement de la diversité rencontrée à des échelles supérieures. En termes culturels, cette complémentarité s’observe à travers le patrimoine ethnographique d’un territoire, ou encore la diversité des terroirs, des cultures, des initiatives locales. Chaque site, avec ses particularités, est représentatif d’une partie des valeurs communes.

Trois autres critères s’articulent autour de la mobilité des organismes.

4. Le déplacement des individus.
Les déplacements (journaliers ou saisonniers) entre taches d’habitats disjoints sont nécessaires aux besoins vitaux de certaines espèces (reproduction, alimentation, hivernage). La gamme des habitats nécessaires aux organismes pour effectuer leur cycle de vie n’est pas forcément contenue au sein du périmètre d’un espace protégé. D’un point de vue social et culturel, il s’agit de considérer les espaces d’activités interdépendants et reliés par des itinéraires : circuit pastoral saisonnier (flux liés à la transhumance), circuit touristique (flux de fréquentation)…

5. La dynamique des populations.
Pour survivre dans un milieu en évolution, une espèce doit coloniser de nouveaux sites et constituer une nouvelle population. La persistance d’une espèce est ainsi dépendante de l’existence d’un réseau d’habitats et du bon état des connexions entre eux. La solidarité écologique concerne aussi le potentiel du site à valoriser des pratiques ou usages tendant vers un équilibre territorial (répartir la pression de fréquentation touristique, favoriser l’élevage extensif…).

6. La réponse aux changements.
En cas de changements plus durables (climatiques, usages des terres…), deux réponses des espèces sont possibles : l’adaptation ou la migration. Une sixième représentation de la solidarité écologique consiste en une vision de long terme replaçant le territoire au sein des gradients environnementaux et des transitions écologiques permettant aux espèces de modifier leurs aires de répartition. Par une vision prospective doublée d’un projet de société, il s’agit également d’anticiper les risques naturels, l’évolution des paysages et des activités.

Le mot solidarité a une forte capacité de mobilisation et implique la responsabilité des acteurs locaux. Son utilisation dans un contexte de conservation de la nature pourrait permettre d’accompagner la prise de conscience et la capacité de chacun d’agir de manière solidaire et responsable. La solidarité écologique permet une nouvelle vision de l’espace et de sa gestion. Elle contribue à donner les bases d’une gestion concertée. Ainsi, elle peut permettre de fonder un projet de territoire.

1. Voir « Des mots pour le dire », Espaces naturels, n° 30, avril 2010.