Le billet

« Mais enfin ! L’Homme se détermine par l’aspect visuel ! »

 

Espaces naturels n°32 - octobre 2010

Le Dossier

Jean Cabanel
Ancien chef de la mission Paysage(1) au ministère en charge de l’écologie

 

Cet ancien chef de la mission Paysage nous livre son témoignage comme une clé : une approche historique pour comprendre l’origine des difficultés actuelles.

Dès sa création en 1980, la mission du Paysage a été l’objet d’hostilité de la part des autres services de l’État. Nos collègues de l’Agriculture nous expliquaient que le paysage n’était que la conséquence mécanique des activités économiques sur le territoire. Les architectes-paysagistes n’étaient guère plus coopératifs. L’un d’entre eux m’exposa un jour que les paysagistes ne voulaient pas intervenir sur l’aménagement du territoire pour ne pas être des supplétifs de l’administration comme l’étaient devenus les urbanistes, lesquels ne faisaient que mettre en œuvre des procédures juridiques.
Certains de nos collègues de la direction de la Nature et des paysages n’ont pas été en reste. Ils nous trouvaient superficiels, inconsistants. Arqueboutés qu’ils étaient à défendre des milieux naturels vulnérables, des espèces en voie d’extinction, ils comprenaient mal que l’on se consacre à la qualité du cadre de vie ordinaire.
Ainsi, lors des réunions de direction hebdomadaires, dix minutes étaient consacrées à l’ours des Pyrénées. Quand j’ai évoqué ce que nous faisions pour les friches industrielles, j’ai été interrompu au bout de trois minutes. Je n’ai pas récidivé. Nous n’étions pas sérieux, disait-on.
Pour quelle raison ce reproche, adressé par nos collègues défenseurs de la nature ? À mon sens parce que notre démarche tenait compte de la composante esthétique des aménagements. Dans notre pays, de nos jours du moins, pour être considéré comme sérieux il faut aligner des données chiffrées et des arguments exclusivement scientifiques. Mais enfin l’homme se détermine largement par l’aspect visuel des choses ne serait-ce que pour faire son marché !
Les écologistes français, en refusant de prendre en compte l’esthétique, se sont privés de remarquables atouts pour diffuser leurs valeurs. La Grande-Bretagne au contraire a développé la sensibilisation à l’environnement à travers les somptueux parcs et jardins gérés par le National Trust.
La mission du Paysage plaidait pour une politique d’aménagement globale du territoire respectueuse de l’environnement et de la qualité du cadre de vie. À cette fin, il nous semblait que notre direction devait intervenir par exemple pour soutenir fermement l’agriculture biologique. Une démarche globale nous paraissant plus profitable que de s’en tenir à des sanctuaires : tout se tient en matière d’environnement ! C’est dans cette perspective que nous avons suggéré à la ministre de l’Environnement, madame Royal, l’idée des directives paysagères2 figurant dans la loi paysage3.
Hélas les défenseurs de la nature n’ont pas pris conscience de l’intérêt de cette démarche.

1. Auteur de Pays et paysages de France, éditions du Rouergue. • 2. Exactement « directives de protection et de mise en valeur des paysages ». • 3. Loi du 8/1/1993.