Réserve naturelle de l’étang des Landes (Creuse)

Un paysagiste dans un projet d’aménagement de réserve naturelle

 

Espaces naturels n°32 - octobre 2010

Le Dossier

Alain Freytet
Paysagiste DPLG

En Creuse, le projet de paysage s’est enrichi du regard naturaliste par l’observation des milieux, la découverte de la flore, l’imprégnation animale… De cet échange est né un aménagement apprécié.

Chantier de l’affût des Trois Bouleaux construit en roseaux à côté de la roselière. © Alain Freytet

Bien loin de rentrer en conflit, paysage et écologie s’épaulent et se complètent pour protéger et mettre en valeur des sites naturels. Il en fut ainsi en Creuse, sur la Réserve naturelle de l’étang des Landes. Un tandem1 composé d’un paysagiste et d’un architecte est, en 2004, appelé à travailler sur l’aménagement de cette propriété du conseil général2. L’intervention se fait au sein d’une équipe regroupant diverses disciplines : naturaliste, paysagère, architecturale, muséographique…

La première étape du projet de paysage a consisté en une reconnaissance des lieux et des présences qui les animent, qu’elles soient animales ou humaines. En effet, le paysagiste considère sa matière comme une discipline relevant de la dimension sensible. Il y exprime, avec une subjectivité assumée, les émotions qui naissent à la rencontre de la nature.
Si cette façon d’appréhender le projet est singulière en regard de l’approche scientifique, elle a justement permis à certains partenaires, n’ayant pas une solide fibre naturaliste, d’entrer dans le projet.
Ainsi, devant les élus ou les habitants du pays, une expression utilisant la parole, le croquis, la photographie ou la cartographie est venue compléter la description scientifique des espèces et des habitats. Idem pour la carte de paysage, qui fait partie des représentations sensibles de l’espace, et qui permet de noter avec précision les toponymes utilisés dans le pays. Tous les éléments, expressions ou images ayant été récoltés auprès d’habitants, c’est l’esprit des lieux, cher aux espaces naturels, qui a pu être caractérisé.
La traduction de cet esprit dans le projet d’aménagement s’illustre par des éléments respectueux à la fois du paysage et de la nature. Des décisions qui, là encore, émanent de la démarche paysagère.
En effet, la reconnaissance paysagère fait émerger les traits caractéristiques des paysages. La recherche d’une formulation poétique et synthétique permet de fonder solidement les bases d’un projet qui prendra appui sur ces qualités propres.
Ainsi, sur l’étang des Landes, l’un des caractères du site tient au contraste qui existe entre le monde réglé et domestiqué du bocage régulier du bassin sédimentaire de Gouzon, et le monde aléatoire et sauvage de l’étang et de ses franges qui compose l’essentiel de la réserve. De cette dualité naît une qualité d’espace très particulière qui va influencer l’aménagement de l’espace. Dans le bocage, les cheminements utiliseront des tracés rectilignes mettant en valeur de grandes perspectives. Sur le domaine de l’étang, il est créé, par contraste, des sentiers étroits et sinueux, parfois inondables. Sur ces itinéraires strictement piétons, on a évité la présence des véhicules à moteur, y compris pour l’entretien et la gestion de la réserve.

La localisation des sentiers et des affûts est l’occasion de faire découvrir les plus beaux paysages aux visiteurs. Les naturalistes soucieux de respecter certains sites de nidification et de repos pour les oiseaux en halte migratoire ne retiennent pas systématiquement l’ensemble des parcours proposés. Il faut renoncer à certains tronçons. Ainsi, le tracé des cheminements s’élabore collectivement comme une composition subtile et rythmée. Sur la réserve naturelle creusoise, pour éviter les déceptions et la monotonie, le tracé est travaillé pour faire alterner les ambiances de l’ouvert au couvert, du domestique au sauvage. À un rythme régulier, le tracé circumlacustre s’éloigne et se rapproche de l’étang. Le cheminement est ponctué d’événements singuliers : affûts, fontaine, mare, pont, arbres remarquables…

Le statut de réserve naturelle donne bien entendu la priorité à la protection de la nature. Cette prérogative affichée et acceptée par tous, les intentions du projet de paysage se précisent. Elles prennent la forme d’un plan d’intentions paysagères. Ce document stratégique, évolutif, permet de faire émerger un projet de fonctionnement et de traitement au-delà des premières divergences. Sur l’étang des Landes, certaines intentions n’ont pas eu de caractère immédiatement opérationnel : soit qu’elles concernent des terrains privés que le conseil général pourrait acquérir, soit qu’elles se trouvent sur des espaces dont les enjeux naturalistes ne sont pas encore bien connus et qui devaient attendre la fin du plan de gestion de la future réserve naturelle dont le statut était en cours d’obtention.

L’aménagement en milieu naturel est souvent réussi quand on ne voit pas qu’il y a eu aménagement. Cette discrétion permet au visiteur d’approcher la situation d’un explorateur découvrant une nature vierge et sauvage. L’émotion suscitée par un milieu naturel est peu compatible avec des interventions trop marquées comme de longs platelages en bois, des panneaux d’interprétations isolés, des barrières, des grillages, des bancs ou des poubelles. Sur la réserve naturelle, des chemins utilisés jusqu’alors par des véhicules à moteur ont été transformés en sentier de moins d’un mètre de large. Ils se sont appuyés sur des structures anciennes comme des chenaux, des fossés, des alignements d’arbres guidant naturellement les pas des visiteurs.

Les interventions de génie écologique ont souvent tout à gagner à soigner leur mise en forme grâce au regard du paysagiste. On évite ainsi l’aménagement artificiel et banal ne résultant pas d’une stricte fonctionnalité écologique. Par exemple, sur l’étang des Landes, plutôt que de creuser des mares à batraciens avec des formes amiboïdes banales et déconnectées du contexte géomorphologique, ces points d’eau ont été façonnés en forme de fossé : un des motifs constitutifs du bassin de Gouzon.
Les points de vue remarquables ont été dégagés en modifiant légèrement les périmètres d’espace à rouvrir en lande pour des motivations exclusivement naturalistes. La canalisation du public s’est faite sans en avoir l’air, en utilisant des motifs de paysages déjà existants : clôtures rurales, fascines vivantes ou mortes tressées en forme de haie ou fossés. Ces barrières naturelles ne semblent pas avoir été mises là pour empêcher la circulation, ce qui évite la frustration de voir des milieux naturels interdits à toute fréquentation.

Pour le visiteur, les interventions les plus visibles sont les affûts. C’est à ce stade du travail que la collaboration avec l’architecte est la plus importante. Pour éviter la banalisation qui pèse sur un grand nombre de sites naturels lacustres où l’on voit sortir de terre les mêmes affûts en forme de boîte en bois préfabriquée, une recherche particulière est menée pour créer des constructions en harmonie avec le lieu en utilisant souvent la métaphore de l’animal et de son abri.
Le grand affût s’est perché autour d’un bosquet de chêne évoquant le nid de l’oiseau. La hauteur en a été déterminée avec soin en montant dans l’arbre pour noter l’altitude exacte du regard à partir de laquelle le paysage se dévoile dans toutes ses profondeurs. Le ponton de la presqu’île des sables linéaire franchit un bras d’eau dégagé en serpentant comme la couleuvre à collier. L’affût des trois bouleaux au ras de l’eau, en bordure de roselièr,e est construit en roseau dont on a gardé les inflorescences à l’intérieur pour créer une atmosphère de nid douillet. Comme la hutte du rat musqué, il se pose à terre, s’enfouit, se couvre de végétation.
Le projet de paysage s’est enrichi du regard naturaliste par l’observation des milieux, la découverte de la flore, l’imprégnation animale. C’est dans cet aller et retour entre la culture naturaliste et la conception créative du projet que naissent les aménagements les plus appréciés.

1. Alain Freytet, paysagiste DPLG, et Gérard Peiter architecte DPLG. • 2. Maîtrise d’œuvre en relation avec le conseil général de la Creuse, gestionnaire, et le Cren du Limousin.