Sciences : les termes du débat actuel

Démoustication: dilemme entre confort humain et biodiversité

 

Espaces naturels n°35 - juillet 2011

Le Dossier

Cécilia Claeys
Maître de conférences en sociologie. Université d’Aix-Marseille

 

Aujourd’hui, les débats opposant protection de l’environnement et confort de l’homme se déplacent vers des préoccupations sanitaires.

Les politiques de gestion des moustiques sont aujourd’hui mises en tension entre protection de la nature et protection de la santé humaine.
Le contexte de la Camargue est de ce point de vue révélateur.

Démoustication. Paradoxalement, c’est au moment où les moustiques ne constituent plus, en France métropolitaine, un risque sanitaire que des politiques de démoustication sont initiées au début des années 1960, dans le cadre de la planification du tourisme de masse du Languedoc-Roussillon et à la satisfaction de ses habitants.
Dans le Parc naturel régional de Camargue, l’absence de démoustication fait controverse. La discorde porte sur la décision de démoustiquer ou non tout ou partie du delta du Rhône. Les enquêtes sociologiques révèlent que les habitants sont majoritairement en faveur d’une démoustication tout en soulignant la nécessité de protéger les écosystèmes. Deux considérations a priori contradictoires. Un compromis se dégage des discours recueillis : démoustiquer les zones habitées, mais non pas les espaces naturels. Si une telle assertion se heurte à la capacité des moustiques à se déplacer, elle n’en est pas moins révélatrice d’une tension entre préoccupations anthropocentrique et biocentrique.
Toutefois, l’année 2005, marquée par un pullulement exacerbé de moustiques, a raison des résistances anti-démoustication, dans un contexte de crises sanitaires, en Océanie d’abord, puis en Italie.
Du fait de l’introduction en France métropolitaine d’Aedes albopictus, vecteur du chikungunya et de la dengue, puis de l’élargissement accru de son aire de répartition, les débats opposant protection de l’environnement et confort de l’Homme moderne se déplacent vers des controverses sanitaires.
Dans ce contexte, une démoustication expérimentale de confort est réalisée depuis 2007 dans les zones les plus densément habitées du delta, Salin-de-Giraud et Port-Saint-Louis-du-Rhône.

Aujourd’hui, les habitants se disent très majoritairement en faveur de cette démoustication, satisfaits de ses effets et souhaitant qu’elle soit poursuivie. En revanche, rares sont ceux qui demandent une extension des zones démoustiquées. En complément du suivi sociologique réalisé en Camargue démoustiquée, des entretiens exploratoires ont été menés en Camargue non démoustiquée en 2010. Les premiers résultats obtenus donnent à voir des discours contrastés concernant le sentiment de gêne, tout en dégageant une réserve, voire une opposition, à l’idée d’étendre davantage les zones démoustiquées. Les arguments environnementaux sont, chez ces habitants, associés à des revendications identitaires (un vrai Camarguais sait vivre avec les moustiques). Le nouveau contexte sanitaire peu ou prou connu de ces Camarguais apparaît à leurs yeux, être une réelle menace, mais jugée encore lointaine. Toutefois, ces oppositions à la démoustication demeurent une spécificité camarguaise.
En premier lieu, les habitants des régions démoustiquées depuis plusieurs décennies ou bien depuis peu disent majoritairement refuser l’idée de mettre un terme à de telles politiques. En second lieu, les habitants des régions touchées par la récente introduction d’Aedes albopictus (Alpes-Maritimes et plus récemment le Var) tendent à réclamer la mise en œuvre de politiques de démoustication. Dans ce cas, l’émergence soudaine de la gêne, l’héritage culturel de ces régions, les caractéristiques socioéconomiques de leurs habitants, ainsi que la déclaration de situation pré-épidémique par les autorités sanitaires contribuent à faire passer au second plan les préoccupations environnementales.

Les politiques de gestion. Les enjeux des années à venir résident dans la capacité des gestionnaires et décideurs à intégrer considérations anthropocentriques et biocentriques (protéger l’Homme ET la nature). Seules des approches interdisciplinaires articulant connaissances écologiques, épidémiologiques et socioéconomiques permettront d’ouvrir des pistes de réflexion pouvant cerner la complexité de ces enjeux.