AMÉNAGEMENT

Arbres en ville : des travaux sans déranger les « chiro »

 

Espaces naturels n°68 - octobre 2019

Méthodes - Techniques

Adine Hector, responsable département écologie du territoire, adine.hector@strasbourg.eu,
Lisa Thiriet, Gepma, l.thiriet@gepma.org,
Suzel Hurstel, médiatrice faune sauvage, alsace.mediation@lpo.fr

À Strasbourg, un protocole permet de prendre en compte les chauves-souris et les oiseaux nicheurs lors de travaux sur la voie publique. Une bonne coordination entre services des collectivités et associations naturalistes a permis la mise en place d'un outil facile et pratique.

Les protocoles de protection des chauves-souris sont appliqués systématiquement par les services de la collectivité. © Julie Vittier - Gepma

La collectivité de Strasbourg dispose d’un important patrimoine arboré sur l’espace public (80 000 arbres) géré quotidiennement et subissant les impacts de nombreux aménagements. Avant toute intervention, il est nécessaire de s'assurer de l'absence d'espèces protégées ou d'indices de présence, et, en cas d'atteinte à une partie d'habitat naturel, de s'assurer du maintien d'habitats exploitables1 par les animaux.

En pratique, tout type d’intervention sur le patrimoine arboré est concerné:entretien annuel du patrimoine arboré de la collectivité ou aménagement de l’espace public ou privé. Les interventions d’urgence quand des arbres présentent des risques de chute suite à un événement climatique ou un état sanitaire dégradé nécessitent aussi ce diagnostic. Les gros projets d'aménagement sont soumis à des déclarations et autorisations environnementales qui nécessitent des inventaires faune et flore. Mais pour des interventions plus ponctuelles, relevant de la gestion du patrimoine arboré des collectivités, aucune autorisation ni aucune étude ne sont nécessaires. Il est fréquent d’échapper ainsi au diagnostic et donc de ne pas relever la présence d’espèces comme les chiroptères.

De façon à rendre les choses plus faciles pour les services techniques, trois protocoles différents ont été élaborés afin de différencier les démarches selon le degré d’urgence:

• abattages dans le cadre de projets;

• urgence de moins de 3 mois;

• urgence de moins de 3 jours.

Ces protocoles de diagnostic et de protection des chauves-souris et des oiseaux sont appliqués systématiquement par les services de la collectivité et transmis au maximum auprès des autres acteurs qui sont susceptibles d'intervenir sur le patrimoine arboré. Les principales espèces visées sont les chiroptères arboricoles comme les noctules. Très discrètes, nocturnes, elles passent très souvent inaperçues sans étude spécifique. Une attention particulière est également apportée aux oiseaux en période de nidification. Toute autre observation de présence de faune est signalée également (insectes protégés par exemple). Le protocole se déroule de la façon suivante : un diagnostic est d'abord faitdepuis le sol, en cas d'habitats favorables (décolements d'écorce, cavités) ou d'indices de présence (nid), il est complété par une évaluation en nacelle et avec endoscope. Si des individus sont présents, on attend la fin de la période de reproduction, leur départ, puis on sécurise, et on compense ailleurs.

Au-delà de la préservation des chauves-souris, prises comme espèces parapluies, ce protocole permet une prise en compte des enjeux et de la valeur du patrimoine arboré ancien et ainsi de la biodiversité au sens large. N'ayant trouvé aucune démarche similaire à l'époque, nous n'avons pas pu nous reposer sur d'autres expériences. Quand on essaie d’appliquer la législation à la lettre, on se retrouve vite à mettre en place une usine à gaz afin d’appliquer un principe de précaution à toutes les étapes. Cela alourdit la démarche autant en matière de moyens humains, financiers que de temps à y consacrer dans des calendriers parfois serrés.

Des sessions de formation ont dû être organisées pour la prise en main du protocole et un accompagnement régulier est nécessaire, même si la forme dichotomique permet une utilisation assez simple par des personnes qui ne sont pas des naturalistes professionnels. La mise en place d’une charte très protocolée permet d’homogénéiser les méthodes et a minima, de donner une ligne de conduite et de faire prendre connaissance aux techniciens de terrain d’un enjeu de biodiversité méconnu et jusqu’ici négligé. Malgré tout, la procédure reste assez lourde et nécessite du matériel spécifique.

Le Groupement d'étude et de protection des mammifères d'Alsace (Gepma) et la LPO-Alsace ont apporté l’expertise technique et le retour d’expérience sur les diagnostics de la faune arboricole, indispensables pour la mise en place d'un outil pertinent. Les associations naturalistes sont par ailleurs des interlocuteurs compétents en matière de formation des agents de la ville et de l’eurométropole sur ces thématiques pointues et des experts disponibles pour répondre à d’éventuelles questions par la suite. Le conseil départemental du Bas-Rhin gère également un patrimoine arboré important et est soumis aux mêmes enjeux. L’idée a été d’essayer, malgré les contraintes d’intervention différentes pour chacune des structures, de travailler sur une base de protocole commune. La Dreal Grand-Est nous a accompagnés sur le volet réglementaire. Il était nécessaire d’avoir autour de la table tous ces interlocuteurs pour pouvoir proposer une démarche pertinente (rapport entre coût de la mise en oeuvre et résultat) et respectueuse de la législation relative aux espèces protégées. Peu d’individus ont été observés en cinq ans d’application du protocole, ce qui pourrait laisser penser que l'on pourrait se passer de cette procédure lourde. Mais, d'une part, la priorité est de se prémunir d'un fait malheureux comme celui de 2013 (lire encadré ci-contre), et par ailleurs, le questionnement enclenché grâce au protocole est une bonne chose quoi qu'il en soit, qui permet parfois d'éviter des coupes d'arbres non indispensables

ALLER PLUS LOIN
Télécharger la charte: www.strasbourgcapousse.eu/app/uploads/2019/09/Charte-Chiros-2017_4.pdf (1) La totalité des espèces de chauves-souris et la majorité des oiseaux nicheurs sont des espèces protégées et leur habitat, dont les arbres à cavités, sont donc protégés (art L.411-1 du Code de l’environnement).