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L’arrachage de la peste

 

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Le Dossier

Annie Aboucaya
Parc national de Port-Cros

Pour lutter contre la griffe de sorcière, le Parc national de Port-Cros a mené des opérations d’arrachage. Suivis et résultats…

Depuis 1995, le Parc national de Port-Cros s’est engagé dans la lutte contre une plante exotique envahissante, très dynamique : la griffe de
sorcière. Cette espèce1, originaire d’Afrique du Sud, menace gravement les milieux naturels insulaires. Un universitaire marseillais, le Dr Medail, a d’ailleurs inventorié 27 plantes rares très menacées en Provence par la progression de cette peste végétale. Ces menaces sur le patrimoine végétal des îles d’Hyères motivent d’importantes opérations d’éradication menées par les agents du parc.
L’îlot du petit Langoustier
La première de ces actions, réalisée sur l’îlot du petit Langoustier (surface du site : 2 ha) a permis de mettre au point une méthode respectueuse de l’environnement. Elle a, ensuite, été largement utilisée dans d’autres endroits, voire par d’autres gestionnaires. Ainsi, en 1995, on procède à l’arrachage manuel de la totalité des griffes de sorcière du site. Les plantes extirpées constituent vite une importante biomasse. Organisée en tas, elle est laissée sur place. La griffe de sorcière étant très aqueuse, certains pieds mettent plusieurs mois à se dessécher après arrachage. La majeure partie de l’arrachage est effectuée en trois jours par une dizaine de personnes (association de réinsertion avec encadrement d’un salarié du parc). Ces journées ont d’ailleurs commencé par une formation botanique sur les enjeux patrimoniaux. Les agents du Parc national effectueront ensuite des arrachages sur les zones plus difficiles d’accès, telles les falaises.
Résultats du suivi scientifique
Dès 1996, un protocole de suivi est mis en place. Son objet est d’éclaircir diverses questions : modalités de la recolonisation végétale des espaces dénudés, durée de vie des graines dans le sol, impact de l’arrachage sur la tenue du sol, impact des goélands leucophée qui présentent une importante population nicheuse… Dans ce but, neuf carrés expérimentaux fixes de 1 m2 sont installés. Ils donnent lieu à un relevé annuel de la flore présente, et à l’estimation du recouvrement végétal.
Certaines de nos interrogations seront ainsi levées : les graines de la plante contenues dans le sol ont germé massivement pendant les trois années qui ont suivi l’arrachage (jusqu’à 500 plantules au mètre carré !). Ces trois années correspondent au temps de cicatrisation de la couverture végétale relative à cette opération. Toutefois, au bout de huit ans, et malgré un arrachage annuel des repousses ou germinations, on trouve encore quelques pieds de la plante sur l’îlot. Certes les quantités sont bien moindres : 61 pieds arrachés pour l’ensemble de l’îlot en 2003. Mais ce fait illustre l’obligation de pratiquer une surveillance régulière des secteurs traités, règle générale pour les pestes végétales. Concernant la griffe de sorcière, une visite de contrôle par an s’avère nécessaire. Suite à l’éradication de cette peste végétale, la végétation indigène, qui était encore très présente sur l’île, a recolonisé rapidement les secteurs mis à nu. Les plantes herbacées annuelles, premières arrivées dès les pluies de l’automne 1995, étaient plutôt des espèces nitrophiles2, liées aux déjections des goélands sur le sol nu des trouées. Peu à peu, elles ont cédé une place de plus en plus grande à d’autres espèces indigènes et, cette fois-ci, vivaces, permettant une couverture du sol toute l’année. La question de la tenue du sol après arrachage massif de la griffe de sorcière s’est très peu posée sur cet îlot majoritairement plat. Sur sols pentus, on peut recommander une élimination progressive, sur plusieurs années, par bandes parallèles aux courbes de niveau. Il convient alors de dégager, en priorité, les semenciers indigènes pour leur permettre de reconquérir l’espace et de tenir le sol. Ces premiers résultats devront, bien sûr, être confirmés par d’autres expériences.

1. En fait, il s’agit de deux espèces ressemblantes : Carpobrotus edulis et Carpobrotus acinaciformis,
et de leurs hybrides.
2. Plantes se développant sur des sols riches en nitrates.