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Jussie : l’option préventive

 

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Le Dossier

Jean-Patrice Damien
Parc naturel régional de Brière

 

Mosaïque de milieux humides complémentaires, les marais briérons (20 000 ha) représentent un intérêt écologique remarquable inscrit aux inventaires Znieff/Zico et à la convention de Ramsar. Aux enjeux de conservation de ce patrimoine naturel s’ajoutent des enjeux culturels tant les usages coutumiers perdurent sur ces marais. La colonisation de ces espaces par la jussie (Ludwigia sp) menace les équilibres écologiques et les usages.

La jussie a été pour la première fois signalée en 1995. Plante amphibie ubiquiste, elle trouve localement des conditions très favorables à son acclimatation. Hormis la roselière dense, où elle rencontre une forte concurrence vis-à-vis de la lumière, les prairies humides, les plans d’eau (250 ha) et les canaux (250 km) sont susceptibles d’être colonisés.
Dès 1996, le Parc alerte les gestionnaires. Il intervient ponctuellement avec ses équipes techniques et développe des opérations avec des bénévoles ; opérations qui ont le double intérêt d’agir sur la prolifération de la jussie et de sensibiliser les intervenants au problème des envahissantes.
Pourtant, en 1999, il faut bien le constater : ces opérations sont insuffisantes et incapables de contenir la colonisation par la jussie. Le Parc s’investit alors. Il décide de développer un principe d’intervention efficace, respectueux de la sensibilité écologique des sites et adapté au contexte local. Cet effort se traduit par le recrutement d’agents techniques saisonniers et par une amélioration de l’organisation des moyens de lutte. L’enjeu social est assez fort pour que les élus envisagent cette embauche saisonnière.
Récolte manuelle, lutte chimique, mécanique… Quels moyens d’action va-t-on retenir ?
D’entrée, la faible hauteur en eau et l’instabilité du sol tourbeux excluent l’usage des moyens mécaniques. On lui préférera donc une récolte manuelle précoce.
Priorité à la récolte manuelle
plutôt qu’au traitement chimique
Ce principe d’intervention est simple à mettre en œuvre. Il ne nécessite que des moyens techniques courants (embarcations, sacs, cuissardes). Cependant, il n’est efficace que s’il s’agit d’herbiers en eau et, de surcroît, peu développés. Il est donc primordial d’intervenir tôt en saison (mai) à l’émergence des plants et dès la première ou seconde année d’implantation sur les sites pionniers (faibles densités). Selon la dynamique de la jussie, il est d’ailleurs nécessaire d’effectuer plusieurs interventions durant la période végétative entre mai et septembre.
Cette récolte méticuleuse et exhaustive des herbiers en cours de formation limite les volumes récupérés, et possède de multiples avantages. Tout d’abord la diminution de la pénibilité du travail et du temps d’intervention, mais également la limitation des coûts et l’augmentation de l’efficacité. Sans compter une réduction de la problématique liée à l’élimination des déchets (enfouis). Enfin, les faibles volumes récoltés permettent l’utilisation d’embarcations de taille réduite (moins de 5 m). Très maniables, ces embarcations permettent mobilité et rapidité d’intervention. Complémentairement à la récolte, un traitement chimique systémique a été pratiqué jusqu’en 2001, afin de limiter le développement des herbiers après exondation des sites (mi-août). Il s’agissait d’un traitement ponctuel : à savoir une application sélective, pied par pied d’un herbicide (Glyphosate) agissant sur les feuilles et pénétrant jusqu’aux racines. Depuis 2002, nous avons suspendu cet usage par précaution. Nous sommes aujourd’hui dans l’attente d’un complément d’information sur l’impact d’utilisation d’herbicides et sur la définition d’un protocole rationnel de mise en œuvre (solution chimique adaptée, efficacité, périodicité du traitement).
Stratégie et surveillance
Parallèlement à l’aspect technique, un volet stratégique est développé qui vise l’efficacité. Les interventions sont donc conduites sur des unités géographiques étendues et cohérentes. En ce qui concerne l’organisation des récoltes, priorité est donnée aux sites pionniers. Ceci dans le but de limiter les fronts de colonisation. Par ailleurs, un suivi précis de la colonisation est organisé.
Une stratégie qui semble porter ses fruits puisque depuis 2001 l’aire colonisée est globalement stabilisée et les densités sont généralement faibles. De même, la dynamique de colonisation constatée entre 1998 et 2001 (le doublement annuel de l’aire colonisée) est momentanément stoppée. Dans certains sites, là où le taux initial de colonisation était faible, et en l’absence de recontamination périphérique par bouturage, la jussie n’a pas été détectée depuis notre intervention. Malgré un potentiel fort, aujourd’hui, huit ans après sa découverte, la jussie ne génère ni impact écologique majeur, ni entrave à la navigation ou autre nuisance.
D’autre part, en termes de coût, comparativement à des contrôles mécaniques « curatifs », cette option « préventive » apparaît intéressante.
Ces résultats globalement positifs et encourageants, sont essentiellement attribués, d’une part à l’organisation des travaux et, d’autre part, à la prise en compte du contexte local. L’adéquation entre le choix technique réalisé et les densités rencontrées est également un facteur de réussite.
Reste encore à approfondir d’autres axes d’action, notamment afin de contrôler les herbiers à sec, et développer des mesures préventives limitant la diffusion de la plante.
Il faut souligner, pour finir, que la pérennisation des moyens de lutte est une nécessité : l’efficacité s’inscrit nécessairement dans la pluri-annualité.