Partenariats

Chercheurs - gestionnaires d’espaces naturels protégés : mieux collaborer

 

Espaces naturels n°65 - janvier 2019

Études - Recherches

Encouragées, mais méconnues, les collaborations entre chercheurs et gestionnaires d’espaces naturels ont fait l’objet d’une étude visant à les rendre plus satisfaisantes, pour l’ensemble des partenaires. Explications.

Une étude menée par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité propose des recommandations pour une meilleure collaboration entre chercheurs et gestionnaires d'espaces naturels.

Une étude menée par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité propose des recommandations pour une meilleure collaboration entre chercheurs et gestionnaires d'espaces naturels.

Les « partenariats pour la réalisation des objectifs » constituent un des 17 objectifs du développement durable du Programme des Nations unies pour le développement, aux côtés de la « vie aquatique » et de la « vie terrestre ». L’heure est aux collaborations et aux partenariats. Les chercheurs et les gestionnaires d’Espaces naturels protégés (ENP), en particulier, sont encouragés à travailler ensemble et à le faire savoir. Ces collaborations sont une opportunité de démontrer la pertinence sociale de leurs travaux pour les premiers, et la crédibilité scientifique de leurs actions pour les seconds. Pour autant, les collaborations n’ont pas toujours lieu et, le cas échéant, elles rencontrent un certain nombre de difficultés. Les études existantes ne permettaient pas d’en avoir une vision d’ensemble. Des membres du Comité d’orientation stratégique (COS) et du Conseil scientifique (CS) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) ont voulu mener ensemble une étude nationale concernant tous les ENP et institutions de recherche, pour documenter ces collaborations, identifier leurs apports et leurs difficultés, leurs facteurs et les modèles selon lesquels elles se développent. Il s’agissait aussi de dégager des recommandations pour que ces collaborations soient jugées plus satisfaisantes par les deux groupes professionnels.

UNE ENQUÊTE MIXTE, QUANTITATIVE ET QUALITATIVE

L’étude a reposé sur une enquête mixte, en deux phases. La première, quantitative, a consisté à adresser des questionnaires « en miroir » aux gestionnaires a priori les plus en lien avec les chercheurs (responsables des services scientifiques lorsqu’il en existe, directeurs, conservateurs des réserves naturelles) et aux chercheurs recensés dans la base de données de la FRB et à tous les membres des conseils scientifiques de parcs nationaux. Ces questionnaires ont permis de recueillir des éléments sur les répondants, les recherches menées et les collaborations (Qui en a pris l’initiative ? Quels ont été leurs apports et leurs difficultés ? Quel bilan ?) ainsi que des commentaires libres. 301 questionnaires exploitables ont été recueillis, 185 de chercheurs et 116 de gestionnaires. 16 types d’ENP ont participé à l’enquête. La deuxième phase, qualitative, s’est appuyée sur des entretiens auprès de neuf binômes de chercheur et de gestionnaire ayant récemment collaboré. Elle visait à mieux comprendre comment s’établissent et se maintiennent les relations entre chercheurs et gestionnaires, en se plaçant au niveau des individus et en s’intéressant à leur vécu. Les informateurs sont majoritairement des chercheurs en sciences de la vie, et des responsables des activités scientifiques dans les ENP pour les gestionnaires.

 DES COLLABORATIONS VARIÉES ET PLUTÔT SATISFAISANTES

Les collaborations sont globalement jugées « plutôt » voire « très satisfaisantes » par les deux groupes professionnels, mais sensiblement plus par les chercheurs que par les gestionnaires. Plusieurs de ces derniers ont pointé dans leurs commentaires libres le caractère asymétrique des collaborations et la situation de subordination des gestionnaires qui peut en résulter. Les difficultés qui ressortent particulièrement sont, chez les gestionnaires, le manque de structure de recherches locales et la méconnaissance par les chercheurs des besoins des gestionnaires et, chez les chercheurs, le décalage des temporalités, la qualité insuffisante des données collectées par les gestionnaires et les contraintes réglementaires liées au statut de protection. Les collaborations se développent dans des cadres variés qui influencent la durée, le rythme et le périmètre des collaborations (CS des ENP, programmes de recherche, structures fédératives comme les zones ateliers(1) et les LabEx(2), accueil de chercheurs dans les ENP). Elles sont influencées par des facteurs à la fois structurels (moyens disponibles, mode d’évaluation des chercheurs), institutionnels (reconnaissance de l’intérêt des collaborations par les institutions, du ministère concerné au laboratoire ou à l’ENP ; visibilité des ENP) et personnels (proximités liées aux parcours de formation ou à des attachements communs à des lieux ou à des pratiques). Dans l’ensemble, la proximité des gestionnaires avec les chercheurs en sciences humaines et sociales est moins grande qu’avec les chercheurs en sciences de la vie et de la Terre. Cela joue en défaveur de leurs collaborations. Enfin, trois principaux modèles collaboratifs, présents dans tous les types d’ENP, peuvent être distingués : un modèle pratico-centré, orienté vers la résolution d’un problème de gestion et où les gestionnaires maîtrisent la majorité des étapes ; un modèle sciento- centré, orienté vers la production de connaissances académiques et où la majorité des étapes sont effectuées par les chercheurs ; un modèle hybride, qui vise à la fois à produire des connaissances académiques et à répondre à une préoccupation de gestion, et où les étapes sont réalisées en majorité conjointement par les chercheurs et par les gestionnaires. La satisfaction des chercheurs et des gestionnaires dépend davantage de l’alignement de leurs attentes et de leurs conceptions de leurs rôles respectifs dans les projets auxquels ils collaborent que du modèle dans lequel s’inscrit la collaboration. D’où l’importance que les collaborateurs explicitent ces attentes en amont des projets ou au cours de ces projets, si des évolutions significatives se produisent.

UNE QUARANTAINE DE RECOMMANDATIONS

Les recommandations ont notamment été élaborées au cours de la restitution de l’étude lors des rencontres chercheurs-gestionnaires à Montpellier en novembre 2017. Quatre ateliers ont permis d’aboutir à une quarantaine de recommandations réparties en 7 grands thèmes : 1) affirmer de manière générale le rôle des ENP comme terrains privilégiés pour la recherche et l’expertise ; 2) constituer une communauté « recherche et espaces protégés » ; 3) mieux se connaître entre chercheurs et gestionnaires par la formation ; 4) décloisonner les échelles et les disciplines de la recherche dans les ENP ; 5) pérenniser les collaborations entre chercheurs et gestionnaires ; 6) encourager l’expérimentation et l’innovation dans la recherche dans les ENP ; 7) valoriser, restituer, diffuser les résultats de la recherche dans les ENP. Quelques exemples en donneront une idée plus précise : mettre en place un portail collaboratif pour relier les offres et les demandes des chercheurs et celles des gestionnaires (« Blablapark », « trouve ton chercheur/ gestionnaire », etc.) et héberger les bases de données d’intérêt commun (thème 2) ; encourager le co-encadrement, par des chercheurs et des gestionnaires, des étudiants qui effectuent un stage de master ou une thèse dans les ENP (thème 3) ; encourager les recherches dans les réseaux de sites, incluant des espaces protégés et non protégés (thème 4) ; impliquer des jeunes chercheurs dans les dispositifs qui réunissent des chercheurs et des gestionnaires (conseils scientifiques, zones ateliers, etc.) (thème 5).  

Affirmer le rôle des ENP comme terrains privilégiés pour la recherche et l’expertise est crucial.

Ces recommandations ont été largement diffusées et portées par la FRB au ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et au ministère de la Transition écologique et solidaire. Elles ont été présentées en septembre 2018 à la conférence des aires protégées de l’AFB, qui a confirmé son intérêt pour ce travail et sa volonté de contribuer à son opérationnalité. Cette dernière prendra ainsi en charge la prochaine rencontre chercheurs – gestionnaires, qui, animée par Réserves naturelles de France (RNF), se tiendra en avril 2019. Une prise en compte effective, rapide et durable de ces recommandations permettrait d’améliorer significativement les collaborations entre chercheurs et gestionnaires d’ENP.

Aller plus loin

Outre les auteurs de ce texte, l’étude a mobilisé de nombreuses personnes à la FRB (Anne- Marie Lebastard, Sarah Aubertie), au sein de son comité d’orientation stratégique (Gilles Landrieu, Florence Cayocca, Anna Echassoux, Catherine Julliot, David Laffitte, Nirmala Séon-Massin) et de son conseil scientifique (François Sarrazin, John Thompson) et au LESSEM (Irstea Grenoble) (Dominique Borg, Frédéric Bray, Hughes François, Clémence Mazard, Gaëlle Ronsin).  

(1) Au nombre de 14, les zones atelier sont un outil inter-organismes de l’institut écologie et environnement du CNRS pour favoriser les recherches sur les interactions entre les sociétés et leur environnement à l’échelle régionale et sur le long terme. bit.ly/2UcuJLq

(2) Les LabEx (Laboratoires d’Excellence) sont un des instruments du programme d’investissements d’avenir. Ils visent à soutenir la recherche d’ensemble d’équipes sur une thématique scientifique donnée.