Comme les autres ?

 

Espaces naturels n°19 - juillet 2007

Management - Métiers

Pierre Wernain
Conservateur de la réserve naturelle de Montenach

 

Les personnes handicapées sont des gens comme les autres. Il suffit de les intégrer dans les équipes de travail pour qu’elles trouvent leur place. Certes. Ce spécialiste rappelle, pourtant, que c’est un peu plus compliqué que ça.

Au début, il y a juste eu le hasard. Une soirée autour du bar comme il s’en organise régulièrement au centre d’accueil thérapeutique à temps partiel. « L’équipe soignante m’a demandé d’organiser une conférence sur les milieux naturels de Lorraine. J’ai répondu présent. » Pierre Wernain se rappelle cet instant comme une intimité vécue avec une vingtaine d’adultes handicapés qui n’en finissaient plus d’être intéressés… Au point, les jours qui suivent, de programmer une visite guidée de la réserve.
Sur le terrain, l’un rédige l’article pour leur journal interne, les autres posent des questions, regardent, reformulent : se plaisent dans ces lieux. Ça se voit. C’est certain. Le contact avec les soignants se resserre, lui aussi. Quelques semaines plus tard, une demande parvient à la réserve naturelle de Montenach : « Accepteriez-vous un groupe de stagiaires pour donner un coup de main en chantier ? » Pourquoi non ? Les gestionnaires acceptent. Un coup de cœur, cela ne se refuse pas.
Après coup, Pierre Wernain soupèse leur part d’inconscience. « Pour nous, c’était des gens normaux, différents mais normaux. Le premier chantier s’est déroulé en hiver. Une dizaine de personnes sont restées quatre jours. Il a plu presque tout le temps. On ne s’est pas posé de questions sur l’encadrement, sur la manière d’expliquer, ou d’interdire certaines choses. Nous avons fonctionné à l’instinct. Aujourd’hui, alors que ces chantiers volontaires se sont multipliés, je mesure que nous ne connaissions rien de la réalité de ces personnes. Heureusement, nous avons su rester dans notre rôle d’encadrement technique, nous ne nous sommes pas pris pour des soignants.
Dès le début, les rôles ont été clairs : nous expliquons le travail à faire, nous donnons les consignes, ce sont les infirmiers qui attribuent les tâches à telle ou telle personne en fonction de la connaissance qu’ils ont de ces gens. Il ne faut pas négliger le fait que les malades psychiatriques connaissent des états psychiques changeants. Nous ne sommes pas formés pour les connaître. Un matin alors que le chantier démarrait, nous avons montré aux bénévoles à quel endroit, il était prévu d’allumer le feu ; sans plus de vigilance. Sans penser que l’un d’eux craquerait immédiatement l’allumette. Résultat, le feu s’est étendu à la pelouse. Il a fallu appeler les pompiers. Cela a éveillé des angoisses chez certains malades. Ce jour-là, nous nous sommes interrogés, avec les soignants, sur la poursuite de l’expérience et sur les bénéfices qu’en retiraient les personnes. Et là, nous avons découvert tout un monde. La balance a très vite penché du côté de l’intérêt à poursuivre. La discussion a mis en lumière l’augmentation de l’autonomie, l’apprentissage de la vie en groupe, la reconnaissance de leur entourage, la considération qui leur est apportée, la valorisation d’eux-mêmes et la responsabilité.
Dès les premiers jours, les stagiaires nous l’avaient dit : ils trouvaient la tâche fatigante, mais ils étaient contents d’être dehors et d’effectuer un vrai travail. D’ailleurs, lors des journées portes ouvertes de la réserve, certains viennent avec leur famille pour leur montrer le résultat de leur travail. Alors oui, cela vaut le coup. Mais cela demande du temps et de la patience. Au début, il a fallu tout expliquer : comment travailler, comment tenir un râteau correctement… Mais depuis cinq ans, les plus anciens sont devenus autonomes, à tel point qu’ils participent à la formation des nouveaux arrivants. On peut même dire que la réserve en tire des bénéfices. Et que, sans ces personnes nous ne pourrions pas effectuer certaines tâches. L’an dernier, nous avons changé une rampe en bois sur tout un côté d’un pont en une demi-heure. Nous n’aurions pas été aussi vite avec des professionnels. Aussi, si quelquefois, le travail n’est pas fait comme on aurait voulu, on laisse. On réexpliquera la prochaine fois ! D’ailleurs, les tâches ont évolué au fil du temps. Au début, on ne faisait que du ratissage, parce que c’était une action simple. Maintenant, on gère… Même le feu ! »

Moune Poli

En savoir plus
>>> Mél : p.wernain@cren-lorraine.fr