Forêts

Les communautés à la barre

 

Espaces naturels n°63 - juillet 2018

Vu ailleurs

Au Ghana comme en République démocratique du Congo (RDC), des modes de gestion communautaire et décentralisée des forêts permettent davantage de protection et de développement local.

Le lac Bosumtwi (Ghana), reconnu réserve de biosphère par l'Unesco en 2016, dépend d'une zone de gestion communautaire des ressources qui mêle conservation et développement d'activités génératrices de revenus.

Le lac Bosumtwi (Ghana), reconnu réserve de biosphère par l'Unesco en 2016, dépend d'une zone de gestion communautaire des ressources qui mêle conservation et développement d'activités génératrices de revenus.

En Afrique subsaharienne, la gestion des ressources naturelles reste encore très souvent centralisée en raison des politiques gouvernementales héritées des époques post-coloniales. Mais les communautés locales, dont les modes de consommation dépendent fortement des ressources naturelles, prennent de plus en plus conscience de l’intérêt de préserver durablement leur capital naturel et du rôle important qu’elles ont à jouer pour améliorer la gestion des espaces.

 

FORÊTS DES COMMUNAUTÉS LOCALES (FCL) : DES OUTILS DE PROTECTION ET DÉVELOPPEMENT LOCAL

En République démocratique du Congo (RDC), au début des années 2000, l’État a décidé d’impliquer plus étroitement les communautés locales dans la gestion des espaces naturels. La loi portant le code forestier a ainsi permis de créer l’outil réglementaire « Forêts des communautés locales » (FCL). En 2014, un décret d’application fixant les modalités d’attributions des concessions forestières aux communautés locales a rendu cet outil opérationnel. Dans le territoire de Bolobo (province de Bandundu), l’ONG locale Mbou Mou Tour (MMT) a saisi cette opportunité pour accompagner les communautés locales dans le processus de reconnaissance des premières FCL à l’échelle du pays. Situé à 300 km au nord de Kinshasa, Bolobo abrite une faune riche et variée mais présente surtout une des plus fortes densités de bonobos (Pan paniscus), espèce endémique de RDC et classée en danger selon la liste rouge de l’UICN. Contrairement aux habitudes de l’espèce qui préfère habituellement les forêts marécageuses, cette population présente une écologie très particulière, car elle vit dans une mosaïque de forêt-savane. Mais ces écosystèmes sont directement menacés par l’agriculture itinérante sur brûlis et par un afflux de populations non autochtones qui viennent travailler pour les compagnies forestières et agricoles. Ces personnes consomment notamment de la viande de brousse et, contrairement aux Batékés (originaires de la zone), chassent les bonobos, aussi bien pour l’autoconsommation que pour la vente.

Face à ces menaces, les communautés locales ont décidé de protéger leurs forêts à travers la création de 6 FCL.

L’ONG MMT les a accompagnées afin de développer un nouveau modèle de conservation communautaire qui permette de protéger les bonobos tout en appuyant le développement local et la protection durable du territoire. Après plusieurs années de lutte et suite à un long processus, les six premiers arrêtés de RDC portant attribution des concessions forestières aux communautés locales ont été signés en mai 2017. Il s’agit d’une grande victoire pour MMT et les communautés locales de Bolobo.

 

RÉSULTATS ET DÉFIS À RELEVER

Aujourd’hui les résultats sont au rendez-vous même si de nombreux défis restent à relever. Sur le plan de la conservation, on assiste à une réelle prise de conscience par les communautés locales de l’importance de préserver leurs ressources naturelles pour les générations futures. La diminution globale du braconnage et de l’impact des activités humaines sur les forêts sous le statut de FCL est une réalité. Les conditions de vie des communautés locales se sont aussi améliorées grâce, notamment, au développement d’activités génératrices de revenus (maraîchage, élevage et écotourisme) et à la réhabilitation des écoles et dispensaires de santé. Le fait qu’une ONG locale (MMT) et le gouvernement travaillent de façon rapprochée avec les communautés pour les encourager à diriger le processus de gestion communautaire de la forêt a été déterminant dans la réussite du projet. Il s’agissait d’une première au Congo. Cette situation a été encore renforcée par l’appui de plusieurs partenaires et bailleurs de fonds (dont le PPI1 ). Pourtant, des difficultés persistent. Un arrêté de 2016 précisant les dispositions spécifiques de gestion des FCL prévoit la mise en place d’organes de gestion nécessitant, pour les communautés, des compétences particulières qui leur font défaut aujourd’hui. L’accompagnement par MMT est de nouveau nécessaire afin de s’assurer qu’une gestion efficace des 6 FCL permettra à la fois de protéger durablement les bonobos et de contribuer au développement local.

 

GHANA : GESTION FORESTIÈRE DÉCENTRALISÉE

Au Ghana, dans les années 1990, l’État a initié des réformes visant à impliquer les populations locales dans la gestion forestière et à leur octroyer une plus grande part des bénéfices issus du secteur forestier. Depuis 2001, la division de la faune du ministère des Terres et des Ressources naturelles permet la création de zones de gestion communautaire des ressources (Community Resource Management Areas, Crema). Il s’agit d’un outil de gestion forestière décentralisée mis en place afin de de promouvoir la conservation des ressources naturelles et la diversification des revenus en dehors des aires protégées. Entre autres, ce statut permet de reconnaître et d’encourager le rôle des autorités traditionnelles dans la gestion de la faune. A Rocha Ghana est une ONG qui a accumulé une solide expérience dans la mise en place de Crema à la périphérie des aires protégées du pays. Elle intervient depuis 2013 à 30 km au sud de Kumasi autour du lac Bosumtwi, l’un des six plus grands lacs météoriques du monde, avec une superficie de 5 200 ha. Cet écosystème lacustre, qui abrite une biodiversité importante, est menacé par la surexploitation des ressources halieutiques et par les autres activités humaines qui polluent les eaux du lac. En 2010, sur demande de l’État ghanéen, la création d’une réserve de biosphère incluant le lac a été amorcée pour tenter de le protéger. Afin de garantir la durabilité de sa gestion, il était également indispensable d’impliquer les communautés locales à travers la mise en place d’une Crema qui couvre les 5 200 ha, incluant un noyau dur dédié à la conservation, et de poursuivre le développement d’activités génératrices de revenus. Environ 12 000 personnes ont été accompagnées pendant trois ans dans la création d’une Crema et la mise en place des structures de gestion associées. Le lac Bosumtwi a été reconnu réserve de biosphère par l’Unesco en 2016. Depuis lors, de nombreux progrès ont été enregistrés dans les domaines de la conservation, de la restauration des habitats dégradés et de la réduction de la pauvreté. À travers la Crema, c’est tout le système de gouvernance locale qui a été amélioré notamment à travers l’intégration des groupes de femmes dans les principaux organes de prise de décision à l’échelle du bassin versant. Cependant, si l’approche Crema semble aujourd’hui produire de bons résultats dans le cas précis du lac Bosumtwi, la consultation et la concertation avec les populations locales doivent continuer pour porter le plan de gestion de la Réserve de biosphère et assurer sa pérennité. Un accompagnement technique et financier de la part d’un partenaire comme A Rocha Ghana est indispensable à cette continuité. Ces deux cas permettent d’illustrer que la gestion communautaire prend sa place dans certains pays d’Afrique subsaharienne. Cette prise de conscience de l’importance du rôle capital des communautés locales dans la conservation de la nature et la gouvernance des ressources naturelles, statutaire pour les réserves de biosphère depuis 1995, s’est depuis imposée au niveau international notamment à travers plusieurs résolutions prises lors des derniers congrès mondiaux de la nature de l’UICN. Cependant, cette reconnaissance devrait s’accompagner de plus d’engagements de la part des États pour soutenir les modèles de gestion communautaire.

 

(1) Le Programme de petites initiatives du Fonds français pour l’environnement mondial accompagne les organisations de la société civile d’Afrique subsaharienne actives dans la préservation de la biodiversité et dans la lutte contre le changement climatique en finançant des projets de petite taille (voir Espaces naturels 56, octobre 2016, p. 22). bit.ly/2rO65nP