Habitats

Connaître le passé pour optimiser les choix de gestion

 

Espaces naturels n°59 - juillet 2017

Gestion patrimoniale

Dans la tourbière des Renons, grâce à une étude conjointe des pollens et des végétaux présents dans la tourbe, 7 000 ans d’histoire ont été révélés. Très riche, l’histoire mise au jour a remis en question la vision que le gestionnaire se faisait du site et elle a conduit à faire évoluer certaines orientations de gestion.

Tourbière des Renons en Rhône-Alpes.© Nicolas Gorius - Cen Rhône-Alpes

Composée d’une succession de buttes de sphaignes, de gouilles et de bas-marais alcalins, la tourbière des Renons1 compte parmi les sites les plus riches de l’Ain pour sa biodiversité. En particulier, le centre de la tourbière forme un petit plateau où se concentrent une bonne part des espèces remarquables. Avec 10 ans de recul, les suivis pratiqués à cet endroit avaient confirmé l’apparente stabilité de la végétation, d’où le choix de laisser cet espace évoluer librement (non-intervention).

L'étude menée par le Cen Rhône-Alpes a montré que la profondeur de tourbe accumulée était importante (plus de dix m au point le plus profond, pour une tourbière d’à peine 3,4 hectares) et dans un état de conservation propice à une étude des restes contenus dans la tourbe. L’idée a fait son chemin et, en 2013, une double étude a été réalisée sur la tourbière pour analyser d'une part les pollens et d'autre part les végétaux (macrorestes) présents dans la tourbe à différentes profondeurs, sur une carotte de 8 m. L’étude conjointe et le croisement de ces deux types de données étaient une première en France. Elles permettent de mieux comprendre les interactions entre  l’évolution des végétaux sur la tourbière et l’histoire de l’occupation humaine du bassin versant.

7 000 ANS D’ARCHIVES

Cette étude met en évidence l’action du climat et des activités humaines au cours des sept derniers millénaires. Milieu aquatique à l'origine (A sur le schéma page 50), le site était entouré de boisements en pleine évolution à la fin de la période atlantique (passage d'une chênaie claire à une sapinière dense). Les premières interventions humaines dans les environs (défrichements) apparaissent un peu avant 2 200 avant JC, au moment où la majeure partie de la tourbière est occupée par un tremblant (B). Elle est ensuite progressivement colonisée par un bas-marais alcalin diversifié, autour duquel se trouvent ponctuellement des bouleaux, saules, grands carex, roseaux phragmites et sphaignes (C). Les activités humaines se développent en parallèle : apparition des céréales (vers 2 000 av JC), du noyer (vers 1 000 av. JC), défrichements répétés…

Ce n’est que plus récemment, dans les derniers siècles, à une époque qui reste à définir plus précisément, que s’observent directement les effets des activités humaines sur la tourbière, avec un changement radical de végétation. Le bas-marais régresse alors vers un tremblant à petits carex (D), suite au creusement de zones d'eau libre d'au moins un mètre de profondeur, ce qui correspond vraisemblablement à une activité d'extraction de tourbe. Les sphaignes occupent ensuite plus largement l’espace et la végétation de la tourbière prend son aspect actuel (E).

UN ACCUEIL ENTHOUSIASTE

Les archives naturelles ont permis une réelle avancée des connaissances, révélant l’existence d’activités dont il n’y avait ni trace ni mémoire. C’est le cas de l’exploitation de tourbe, qui n’est mentionnée nulle part dans les archives papier, probablement négligée par rapport à des exploitations d’ampleur plus importantes à proximité, dans la vallée. Elles ont aussi conduit à lever le doute dans tous les esprits sur une légende indiquant qu’on avait vu l’eau, qui formait un lac en ce lieu il y a quelques siècles, se vider brutalement pour créer le lac Genin voisin : en réalité le comblement de la pièce d’eau a été bien plus ancien et plus progressif.

Enfin et surtout, il est apparu que la fameuse partie centrale de la tourbière était en fait en phase de cicatrisation après une exploitation de tourbe ancienne. Finalement, les activités humaines sont partie intégrante de ce système, même là où on ne s’y attendait pas. Pour le plus grand bonheur des rhynchospores, droseras, sympétrum...

Toutes ces informations ont été très bien accueillies localement et ont contribué à inspirer une démarche d’éco-interprétation pour partager toutes ces découvertes enthousiasmantes auprès d’un plus large public (voir plus bas).

UNE NÉCESSAIRE ADAPTATION DES ORIENTATIONS DE GESTION

Ces informations remettent en question la gestion réalisée sur la tourbière. Une zone de phragmites, présente en bordure du site, était fauchée pour empêcher la densification et l'extension des roseaux. Mais les phragmites sont un constituant de la tourbe depuis plusieurs milliers d'années. Cette fauche a donc été abandonnée.

Quant au choix de non-intervention sur le centre de la tourbière, s’il reste adapté à court terme, vue la lente évolution du milieu, il pourrait être remis en cause dans un avenir plus ou moins proche : à terme, pour conserver les espèces remarquables, il faudrait reproduire les perturbations que la tourbière a connues lors de son exploitation et creuser à nouveau des fosses de tourbage. Une surveillance apparaît donc nécessaire pour savoir quand intervenir, le cas échéant. Les espèces remarquables, pour la plupart, ont des effectifs de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'individus et peuvent n'être contrôlées que tous les dix ans. C'est moins vrai pour les libellules (Sympetrum danae et Somatochlora arctica) et certains petits carex. Un état des lieux de leurs populations devra être fait prochainement.

Enfin, une datation plus précise de la période d’exploitation est envisagée : elle permettrait de préciser combien de temps a été nécessaire pour aboutir au milieu actuel (vitesse de cicatrisation des fosses de tourbage) et éclairer ainsi les choix de gestion futurs.

 

(1) Partie intégrante de l’ENS des lacs du Haut-Bugey, la tourbière des Renons est gérée par le Conservatoire d’espaces naturels Rhône-Alpes depuis 2003.