La création et la gestion des Aires marines protégées françaises sont déterminées par les conventions internationales
Espaces naturels n°9 - janvier 2005
Laurent Millet
Juriste Ministère de l’écologie et du Développement durable
Les Aires marines protégées françaises ont, plus que leurs sœurs terrestres, le bleu de l’orange stellaire souligné par le poète. Elles partagent toutes les mêmes gènes du fruit arborescent des engagements internationaux.
Même dépourvues de label international, comme c’est le cas pour les aires spécialement protégées d’intérêt méditerranéen, les Aires marines protégées (AMP) ont toujours une légitimité internationale : qu’elles soient créées dans les eaux territoriales ou intérieures françaises avec les outils du droit international (exemple : création en Méditerranée d’un sanctuaire pour les mammifères marins, Pelagos), communautaire (exemple : réseau Natura 2000) ou interne (exemple : Réserves naturelles, Parcs nationaux).
En effet, les AMP prennent leur source dans la prose discrète de conventions internationales des mers régionales du programme des Nations Unies pour l’environnement, des conventions thématiques internationales ou, le plus souvent, dans les deux.
Dans la première branche de cette filiation plurielle, on compte des conventions-cadres sur l’Atlantique du Nord (Ospar), sur la mer Méditerranée (Barcelone), sur l’Océan Indien (Nairobi) et sur la région des Caraïbes (Carthagène). Chacune comporte un protocole additionnel sur les zones protégées et la diversité biologique 1.
Dans la seconde branche, on compte notamment les conventions mondiales sur le droit de la mer, la conservation des zones humides (Ramsar), la diversité biologique (Rio), la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (Bonn), la chasse à la baleine (Washington) et la convention paneuropéenne sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel (Berne).
Ces textes peuvent ensuite faire l’objet de conventions d’application communes, qui, elles-mêmes, donneront lieu à des conventions d’application sur une zone déterminée, en fonction notamment de précédents locaux de coopération.
Ainsi, la conservation des cétacés en Méditerranée, dans la zone atlantique adjacente et en mer Noire (convention ACCOBAMS), s’inscrit dans un accord international, pris principalement en application de la convention de Bonn, mais aussi de celles de Barcelone (cf. aires spécialement protégées), Berne et Washington.
Et c’est dans le prolongement de leur coopération locale, dans le domaine de la protection de l’environnement marin et côtier (Ramoge), que les États français, monégasque et italien ont convenu de créer un sanctuaire des mammifères marins dans leurs eaux territoriales et dans les eaux internationales (Pelagos).
Une originalité liée à l’ordre juridique communautaire réside dans le fait que les conventions de protection de l’environnement auxquelles la Communauté européenne a adhéré 2 font partie de l’ordre juridique communautaire et peuvent être invoquées par les ressortissants d’un État membre pour faire respecter des engagements internationaux3.
Vecteur potentiellement puissant pour la création et la gestion d’Aires marines protégées, le droit public international, même relayé par le droit communautaire, reste cependant encore insatisfaisant pour gérer les AMP transfrontalières. Les gestionnaires d’AMP attendent, en effet, d’être dotés d’une personnalité morale internationale leur permettant de recruter du personnel, de passer des contrats, etc. Le seul support actuellement disponible, avec présidence tournante, se limite à une commission mixte sans personnalité juridique4. Mais l’annonce, tant attendue, d’un règlement communautaire sur des groupements coopératifs (à vocation non économique) qui devrait voir le jour en 20075 dissipera peut-être cette part d’ombre. La convention constitutive de ces groupements devra laisser les pouvoirs de puissance publique aux mains de leurs titulaires, notamment des pouvoirs de police et de réglementation. À savoir, en France, essentiellement au préfet maritime (circulation), au préfet de région (pêche) et au préfet de département (domaine public maritime).
L’histoire dira si cette évolution du droit communautaire à venir aura participé à atteindre l’objectif que s’est fixé l’Union européenne, lors du conseil environnement du 22 décembre 2003, de constituer d’ici 2012 les réseaux nationaux et régionaux de zones marines protégées…
1. Annexe V (Sintra, juillet 1998) sur la protection et la conservation des écosystèmes et de la diversité biologique de la zone maritime couverte par la convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (dite Ospar pour Oslo et Paris), en vigueur en France depuis le 9 février 1999, approuvée par la loi n°2004-1106 du 20 octobre 2004. Le décret de publication sera prochainement publié au Journal officiel.
Pour la Méditerranée : protocole de 1995 relatif aux aires spécialement protégées (ASP) et à la diversité biologique dit protocole de Barcelone, en vigueur en France depuis le 16 avril 2001, publié par le décret n°2002-1454 du 9 décembre 2002.
Pour l’Océan Indien : protocole de 1985 relatif aux zones protégées ainsi qu’à la faune et à la flore sauvages dans la région de l’Afrique orientale, en vigueur en France depuis le 30 mai 1996, publié par le décret n°2000-982 du 2 octobre 2000.
Pour la zone Caraïbes : protocole de 1990 relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées dit protocole de Kingston ou SPAW, en vigueur en France depuis le 5 mai 2001, publié par le décret n°2002-969 du 4 juillet 2002.
2. Exemples : adhésions du Conseil à la convention de Bonn et au protocole de Barcelone par les décisions n°82/461/CEE et n°99/800/CE des 24 juin 1982 et 22 octobre 1999. La Communauté déclare qu’elle participera à la mise en œuvre de ces deux conventions par la création du réseau Natura 2000.
3. En ce sens, jugement du tribunal administratif de Nice du 6 mai 2003, asasociation « France nature environnement » et autres, requête n°01-4168, annulant une décision de l’État français pour méconnaissance du protocole ASP de Barcelone.
4. Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales dite convention de Madrid de 1980.
5. Proposition de règlement, COM (2004) 496 final.