Le don au secours du modèle associatif
Espaces naturels n°62 - avril 2018
Nerf de la guerre de l’action associative, le financement n’en est pas moins encore tabou pour certains. Mais, professionnalisation oblige, les choses évoluent. Olivier Dénoue, secrétaire général exécutif de la LPO, témoigne de ces évolutions pour son organisation.
Il existe de multiples façons de s’engager pour une cause. Parmi celles-ci, le soutien financier, même s’il est souvent dévalorisé au regard d’autres formes d’engagement, à commencer par le bénévolat. Le monde associatif et l’argent ont toujours formé un couple improbable. Les militants associatifs préfèrent l’action aux moyens de la mettre en place, et les financeurs considèrent les acteurs associatifs comme des interlocuteurs sympathiques mais pas toujours très sérieux. Cette vision caricaturale demeure, même si elle a heureusement perdu de son emprise au fil des années. D’abord parce que le monde associatif s’est très fortement professionnalisé, en se structurant pour davantage rendre compte et évaluer son activité. Et aussi parce que les financeurs, publics ou privés, organisations ou particuliers, exigent désormais de nombreuses garanties et justificatifs dans l’usage des fonds versés, obligeant les associations à améliorer leurs pratiques. Mais si la capacité du monde associatif à bien gérer les fonds qui lui sont confiés semble désormais poser moins question, l’argent demeure toutefois un sujet tabou. La défense d’une cause l’emporte souvent sur tout autre sujet, la noblesse de l’action de terrain s’essuyant parfois les pieds sur les préoccupations matérielles.
Pourtant, le sujet des ressources financières est crucial pour le monde associatif. Pas seulement parce qu’il est garant du développement ou de la survie d’une organisation, mais aussi parce que cet enjeu concerne avant tout notre capacité à faire vivre ou non notre modèle associatif, si spécifique.
Financement et indépendance
La structuration financière d’une association en dit long sur son profil et sa capacité à mener à bien son propre projet associatif, à supposer qu’elle en ait un. Car, de façon synthétique, nous pourrions déterminer deux catégories d’associations : celles pouvant être qualifiées d’opératrices mandatées par leurs financeurs (publics ou privés) pour mettre en œuvre telle ou telle action en contrepartie de fonds alloués ; et celles, indépendantes, qui sont en capacité de mener à bien leur propre projet, défini par leurs adhérents et élus grâce à une structuration financière permettant d’assumer ces orientations. La plupart des associations étant à cheval entre ces deux modèles, reste à savoir où situer le curseur. Car la question de l’autonomie et de l’indépendance financière est cruciale pour le monde associatif, qui reste attaché à une vision citoyenne de son engagement.
Pour ce faire, il n’y a pas mille options. Les soutiens financiers de nos concitoyens (récoltés auprès des particuliers) permettent de préserver la spécificité associative, qui s’inscrit en complément – et non en opposition - d’initiatives plus conventionnelles des partenaires publics (État, collectivités) ou privés (entreprises, fondations). La première force d’une association réside notamment dans sa capacité à obtenir une part importante de ses ressources via des soutiens non fléchés provenant de particuliers, et de maintenir à un niveau raisonnable – c’est-à-dire n’influençant pas les orientations de l’association – les financements publics et d’entreprises privées.
La LPO a la chance de tenir un équilibre financier compatible avec le respect du modèle associatif, avec suffisamment de ressources propres indépendamment d’exigences extérieures. C’est ainsi qu’en 2016, les produits de l’association provenaient pour 37 % du secteur public (Europe, État, collectivités locales, etc.) et pour 63 % du privé. Ces ressources privées n’étant constituées que pour 15 % environ de financements fléchés, essentiellement au travers de prestations menées pour le compte d’entreprises. La structuration financière de la LPO s’appuie sur de multiples ressources non fléchées issues du soutien de nos concitoyens pour environ 6 M€ sur les 14 M€ que constitue son budget (données 2016). Elles proviennent des dons (1,1 M€), des legs (1,7 M€), des ventes de la boutique (2 M€), des cotisations (0,8 M€) et des abonnements aux revues (0,5 M€).
Recruter des donateurs
Historiquement, la LPO s’est appuyée sur ses nombreux adhérents (près de 50 000) pour recueillir des fonds destinés aux actions de protection de la nature. Ceux-ci cotisaient pour adhérer, mais étaient aussi concernés financièrement par des appels à dons, l’abonnement aux revues et l’achat de produits issus de sa boutique. Les adhérents/militants de l’association en étaient donc également les financeurs. Aujourd’hui la LPO essaie d’élargir la collecte de fonds privés auprès d’autres publics qui ne sont pas déjà adhérents. Par exemple, au travers de l’envoi d'appels à dons à l’ensemble des contacts de l'association, par la promotion des produits de sa boutique au-delà de la seule sphère des militants, et par le développement d’un programme de collecte de rue initié en 2014, secondé par une opération de collecte en porte-à-porte testée courant 2017. J’imagine déjà les yeux de certains se lever au ciel en lisant ces dernières lignes. Collecte de rue, porte-à-porte... Cette réaction, que j’anticipe peut-être à tort - mais j’en doute - est intéressante, car elle illustre certaines fausses croyances qui sclérosent le monde associatif dans sa capacité à rechercher des fonds susceptibles de porter son projet. Revenons à la collecte de rue.
Ce programme consiste à financer un prestataire pour recruter des donateurs/adhérents dans les rues des grandes villes de France. Les recruteurs, souvent militants de la cause, sont formés sur l’objet et l’histoire de l’association ainsi que sur les enjeux touchant à la biodiversité. Si leur tâche est ardue, ce programme permet, depuis trois ans, de recruter de nombreux nouveaux donateurs et adhérents engagés dans notre combat. Cette pratique de collecte a de très nombreuses vertus : elle permet d’aller chercher de nouveaux soutiens, de fidéliser leur engagement en proposant le prélèvement automatique mensuel et de limiter les coûts de gestion des dons. Enfin, et surtout, elle apporte un soutien financier non fléché. En outre, la collecte de rue comme la collecte de porte-à-porte joue la carte de la transparence en instaurant un dialogue en proximité avec nos concitoyens, sans éluder les questions qui dérangeraient et sans mettre en avant uniquement les actions « rentables ». Il se trouve que les vautours « rapportent » plus que les moineaux. Faut-il pour autant focaliser les messages de collecte et donc l’usage des fonds sur les rapaces ? La réponse est évidemment non, car les enjeux de biodiversité sont aussi ailleurs (l’évolution du modèle agricole par exemple).
Rendre des comptes
Les donateurs attendent désormais autre chose que l’aspect affectif de la part des associations qu’ils soutiennent : de l’efficacité dans les actions mises en place et de la transparence dans l’usage des fonds (source : baromètre France générosité 2017). Allons donc les convaincre de la pertinence de notre projet associatif, de la qualité de nos actions et de notre souci du bon usage des fonds. Ne passons plus notre temps à essayer de les séduire autour d’une action spécifique phare, supposée les toucher plus particulièrement. Les donateurs doivent apprendre à faire confiance aux associations pour affecter leurs dons. Et les associations doivent, en contrepartie, continuer à améliorer la qualité de leurs actions et leur capacité à rendre des comptes. Des conditions nécessaires pour que le monde associatif reste lui-même, un acteur de la société civile complémentaire des démarches publiques ou marchandes, dans le cadre de l’intérêt général.