Les espaces de naturalité : préservation, reconnaissance, valorisation
Espaces naturels n°55 - juillet 2016
Nicolas Drapier,
ONF - direction forêts et risques naturels
Si la prise de conscience et l'attrait pour le sujet sont relativement récents, le retour du « sauvage » est un phénomène ancien autant qu'il est progressif et discret. Les espaces voués à préserver la naturalité ne sont pas non plus une nouveauté.
Bien qu'elle ne soit pas seule concernée, c'est souvent à la forêt que l'on pense à propos de naturalité, à laquelle sont consacrés des espaces allant d'îlots de sénescence de quelques hectares jusqu'à de plus ou moins grandes réserves intégrales. À leurs différentes échelles spatiales, ces objets se complètent, mais tous ne bénéficient pas d'une même reconnaissance au regard de politiques d'espaces protégés, et leur visibilité s'en ressent d'autant.
Pour les forêts relevant du régime forestier, les premières réserves biologiques intégrales (RBI) datent de 1953. Le concept a été précisé à la fin des années 1990, assorti d'une notion de surface minimale (50 à 100 ha) appropriée à l'expression d'un certain niveau de dynamique naturelle des habitats forestiers (et non d'écosystèmes complets jusqu'à leurs grands herbivores et prédateurs). Si les « petites » RBI ont permis de développer un réseau représentatif de la diversité des forêts de métropole (plus de soixante-dix sites fin 2015), l'expérience montre en revanche que la création de grandes RBI se heurte à des contraintes sociales autant qu'économiques. De fait, la forêt est particulièrement exposée aux expressions contradictoires de la demande sociale : naturalité certes, mais aussi espace de récréation (surtout associé à une image de « propreté »), espace de production soumis à une demande croissante d'écomatériau-bois et d'énergie renouvelable.
RECONNAISSANCE…
Les réserves intégrales (RI) au sens de la catégorie Ia de l'UICN comptent en France métropolitaine environ 21 000 ha de RBI (12 000 ha en projet), plus environ 1 700 ha de RN intégrales (par leur acte de classement), ainsi que de petites parties boisées des deux RI de parc national. Il est à noter que la reconnaissance des RBI en catégorie Ia a tenu compte de principes de gestion incluant la sécurisation d'itinéraires de traversée, l'élimination d'espèces exotiques, la régulation des ongulés par la chasse en l'absence de prédateurs.
De nombreux espaces de naturalité échappent à cette comptabilisation, du fait de l'absence de protection par un acte à la fois réglementaire et pérenne (un des critères de l'UICN) :
- îlots de sénescence issus de décisions d'aménagement forestier ou de contrats Natura 2000 ;
- zones classées hors sylviculture par arrêté d'aménagement, pour une durée d'au moins vingt ans ;
- autres − et vastes − espaces forestiers ou anciens espaces agricoles, que leur simple mais durable déprise a permis de qualifier de nature férale.
…ET VALORISATION DES ESPACES OÙ « PLUS RIEN NE SE FAIT »
Selon la formule consacrée, la non-exploitation n'est pas la non-gestion : suivis et autres études, information et sensibilisation du public (sur l'intérêt des réserves intégrales comme sur le fait que ce statut affecte plus l'exploitation forestière qu'il ne bannit systématiquement tout autre usage)… Si elle ne présente souvent pas un caractère très actif ni visible, la valorisation de ces espaces est une réalité. Mais s'ils sont bien entrés dans le « logiciel » des forestiers et autres gestionnaires, il reste encore souvent de quoi faire pour la promotion des divers espaces de naturalité auprès du public, ainsi que d'élus et acteurs socio-économiques, afin qu'ils puissent y voir autre chose que des lieux abandonnés.