Stratégie

Réintroduire, laisser-faire ou les deux ?

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Le Dossier

Pierre Athanaze,
Président d’Action Nature Rewilding Europe

Redonner de la place au sauvage, on peut le faire... sans rien faire. Mais on peut aussi estimer que dans certains cas la naturalité ne s'obtient pas sans actions fortes, comme les réintroductions.

Le massif de Belledonne, un vaste espace sauvage ayant fait l'objet d'une réintroduction du bouquetin en 1983.

Le massif de Belledonne, un vaste espace sauvage ayant fait l'objet d'une réintroduction du bouquetin en 1983. © Billy Fernandez

Alors que l'acceptation sociale est invoquée contre les projets de renforcement des populations et les réintroductions, les enquêtes montrent que le public est souvent favorable au retour des espèces.

Les grands prédateurs, en particulier, font actuellement polémique. Pourtant, malgré les très virulentes déclarations et actions des anti-ours pyrénéens, les habitants des Pyrénées sont très largement favorables aux réintroductions afin de renforcer l’actuelle population ursine. Selon un sondage ifop de 20051, 84 % des Pyrénéens se déclarent favorables au maintien d’une population d’ours et 77 % à sa réintroduction. Même chose avec le lynx. Les Francs-Comtois ont régulièrement montré qu’ils sont très largement attachés aux relâchés des jeunes lynx orphelins qui ont fait l’objet de soins au Centre Athénas. Pour le loup, l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), avait commandé un sondage à L’ifop2 afin de mesurer son acceptation sociale. Alors que la politique de tirs devenait la seule alternative proposée par les pouvoirs publics face à l’opposition de plus en plus virulente des organisations agricoles et des chasseurs. Le sondage était là aussi sans appel : 80 % des sondés étaient opposés à l’éradication du loup. Un taux qui était même de 84 % dans les zones rurales. Soit l’inverse de ce qui est si souvent colporté, affirmant que se sont les citadins qui seraient majoritairement favorables au retour des grands prédateurs.

Les oppositions viennent du monde de l’agriculture, car le plus souvent impacté, ou celui de la chasse, qui pourtant depuis fort longtemps pratique non pas seulement des réintroductions, mais aussi des introductions (faisan vénéré, colin de Virginie…).

Mais les opposants aux réintroductions se trouvent aussi parmi les protecteurs de la nature, qui présentent une très grande diversité dans leur perceptions de ce genre d’expérience. Pour certains, pour obtenir un haut degré de naturalité, il convient de ne pas intervenir ni sur les milieux naturels ni sur la faune sauvage, qui devrait revenir d’elle-même lorsque les conditions écologiques seraient réunies.

Si cela avait été mis en pratique, nous n’aurions sans doute, à ce jour, pas de Vautours fauves et moines, ni de gypaètes dans les Alpes ou les Cévennes. Plus d’ours dans les Pyrénées depuis douze ans. Le castor ne serait présent que dans le Rhône. Il faudrait aller au Parc du Grand Paradis pour voir les seuls bouquetins des Alpes au monde. Peut-être resterait-il quelques très rares bisons d’Europe, mais uniquement dans des zoos.

RÉTABLIR LA FONCTIONNALITÉ DES ESPACES NATURELS
Malgré ces réussites, de nouveaux projets sont bloqués. Les velléités de réintroduire le Pygargue à queue blanche dans l’est de la France ont été enterrées. Certes, il arrivera sans doute prochainement dans l’est de l’hexagone, en provenance d’Allemagne où la population de ce grand rapace a dépassé les trois cents couples. Mais combien de temps faudra-t-il avant de voir ce géant des airs dans la Dombes, la Brenne ou la Camargue ? Pourtant, la prédation du grand cormoran par le pygargue pourrait être un facteur d'acceptation sociale de ce dernier. Les pêcheurs, en particulier, et les pisciculteurs pourraient y voir une solution face à l'impact (réel ou non) de la prédation du cormoran.

Les réintroductions n’ont pas en effet pour seul but de sauver les espèces de la disparition, mais doivent également être considérées comme un enjeu pour la fonctionnalité des espaces naturels. En Europe, entre les années 2000 et 2030, trente millions d’hectares seront abandonnés par l’agriculture. Soit l’équivalent de la surface de la Pologne ! Ces anciens terrains agricoles deviennent friches puis, selon leur situation, des steppes ou de jeunes forêts. À une telle échelle, il n’est évidemment pas envisageable d’y mener une gestion conservatoire par pâturage, fauchage ou autres mesures de gestion active (cf. Grands herbivores et forêt p. 31). Plus que jamais, le rôle des herbivores sera primordial dans l’évolution de ces espaces. Mais en France, comme dans nombre de pays européens, la guilde des herbivores est réduite aux espèces de petite taille : chevreuils, cerfs, chamois… Il manque les bisons, les élans et les chevaux, qui, tout trois, sont complémentaires de nos ongulés sauvages en matière d’impact sur la végétation.

© RNN Lac de Remoray

La France est culturellement, et surtout politiquement, très attachée à l’image d’une agriculture « gardienne » des paysages. Des moutons plutôt que des loups… Mais il faudrait au plus vite penser à la reconversion de milliers d’exploitations agricoles. Un tourisme vert, maîtrisé, basé sur l'observation de la grande faune, se développe chez nos voisins. Ce pourrait être une solution aussi en France.