Réflexion

Former la faune sauvage ?

 

Espaces naturels n°69 - janvier 2020

Lecteurs penseurs

Christian Perennou, chef de projet,Tour du Valat.

Un lecteur nous invite à la réflexion sur ce projet de "formation" de marsupiaux pour se défendre contre les prédateurs.

L'actu de la biodiversité sélectionnée pour vous sur Scoop.it

L'actu de la biodiversité sélectionnée pour vous sur Scoop.it

Dans de nombreuses régions du monde, des prédateurs introduits ont atteint des densités de population telles que leur éradication est aujourd’hui impossible. Cela a parfois conduit certaines de leurs espèces-proies natives au bord de l’extinction. C’est le cas en Australie, où le Bandicoot-lapin et le Rat-kangourou de Lesueur, deux petits marsupiaux, sont aujourd’hui très menacés par les chats harets, présents même dans les milieux naturels les plus reculés. Leur « naïveté » face à ce prédateur introduit est un facteur aggravant. Jusque là, la réponse des gestionnaires a souvent été d’établir des réserves entièrement closes, sans prédateurs – une sorte de semi-captivité, donc. Dans un contexte similaire, en Nouvelle-Zélande, des espèces d’oiseaux endémiques très menacées sont conservées sur des îlots débarrassés au préalable de tout prédateur introduit : sur les deux îles principales, leurs chances de survie apparaissaient trop faibles face à l’impossibilité d’éradiquer leurs prédateurs.

Katherine Moseby, de l’université d’Adelaïde en Australie, propose une approche radicalement différente. Puisqu’une partie du problème est la naïveté des espèces indigènes face aux nouveaux venus, apprenons-leur à avoir peur des prédateurs ! Dans des enclos spéciaux où les deux petits marsupiaux ci-dessus étaient présents, son équipe a ajouté quelques chats de façon contrôlée, en escomptant que les marsupiaux développent une peur des chats, et donc des comportements de fuite ou d’évitement. Une modification comportementale a effectivement été notée, et dans une expérience de réintroduction comparée in natura d’animaux « naïfs » et d’autres entraînés à la présence des chats, dans un enclos de 37 km² contenant 10 chats, 71 % des premiers avaient été prédatés au bout de 40 jours, mais seulement un tiers des seconds. L’espoir des chercheurs est que cet apprentissage sélectionne des individus plus prompts à éviter les chats, et soit ensuite transmis à leur descendance par des marsupiaux « entraînés » et survivant donc mieux. L’expérience a été jugée assez prometteuse pour qu’une tentative grandeur nature, dans une réserve naturelle non close de 2 100 km², soit prochainement tentée en 2020.

Cet article m’a interpellé, car comme toute approche nouvelle et originale, celle-ci fait forcément polémique. Mais il n’existe aucune alternative éprouvée, pour les situations où l’éradication de prédateurs introduits est impossible. Il me semble donc que tout doit être expérimenté : les risques pour des espèces en grave danger sont trop grands pour négliger une piste, aussi inhabituelle soit-elle !