>>> Organiser des sorties découverte

De jour comme de nuit, mener le public à la découverte des tourbières

 

Espaces naturels n°8 - octobre 2004

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La tourbière des Dauges est très fréquentée. Des sorties découvertes organisées par le Cren Limousin sont alors l’occasion de faire découvrir « l’autre côté du miroir ». L’occasion également de livrer un message sur la nécessaire protection de l’environnement.

Chaque fois c’est le même rituel, après le repas, quand l’horizon croque le soleil, une quinzaine de participants s’attroupent autour de l’animateur. Ils font connaissance en attendant le crépuscule. Certains la jouent fanfaronnade : ils n’ont peur ni du noir, ni des serpents qui eux aussi peuplent les tourbières. La majorité, cependant, aborde avec humilité cette visite de nuit , déjà attentifs à l’environnement qu’ils découvrent.
Philippe Durepaire, conservateur, prend rapidement le groupe en main. Il explique pourquoi il a demandé de venir sans lampe torche : « Maintenant qu’il fait nuit, fermez les yeux. Quelques minutes simplement… Vous allez vous habituer et voir autre chose, différemment ». D’un regard, il inspecte le groupe : pas de vêtement voyant, bruyant. Pas de parfum… Les consignes sont respectées, on peut y aller.
Son boulot : mettre les gens en confiance, privilégier le contact humain pour permettre le dialogue avec ces personnes qu’il va guider. Il veut transformer à l’envie, la crainte en magie.
Sans aisance, ils évoluent d’abord dans la forêt puis dans la tourbière. De jour, il est déjà difficile de tenir debout, alors de nuit ! En accord avec la lumière, le ton de voix se fait plus feutré. L’animateur sait alors qu’il peut jouer sur l’imaginaire pour susciter une écoute plus attentive : il attire l’attention du groupe sur le chant d’un batracien. La faune nocturne est particulière. Chacun se met en quête d’indices sonores dans la quiétude de la nuit. Le sentiment qui domine est la vulnérabilité, Philippe, le sait, comme il sait qu’il peut se permettre d’expliquer la fragilité des lieux : le message sera perçu, entendu, parce que vécu.
Le Limousin est une région particulière, méconnue et pourtant reconnue. Avant même son classement en réserve naturelle, la tourbière des Dauges était le milieu naturel le plus visité de Haute-Vienne et la tendance n’a fait que s’amplifier. Certains week-ends, les jours de grand soleil, il peut y avoir jusqu’à plusieurs dizaines de voitures qui stationnent dans le village. Le hameau était un haut lieu du catholicisme limousin. Il y a là une sorte de caractère évoquant le passé… Des prieurés, des vieilles pierres… Jusqu’à l’année dernière encore, les lieux abritaient des moines bénédictins. En cet endroit, c’est sûr, on s’imagine aisément vivre avant la seconde guerre mondiale.
Le Conservatoire des espaces naturels a d’ailleurs agi pour que cet esprit subsiste : une ligne électrique qui traversait la tourbière vient d’être retirée afin que n’existe aucune pollution de caractère anthropique (coût : 90 000 euros).
La priorité absolue est la conservation de la naturalité du site. Cet élément a d’ailleurs été mis en avant par une grande majorité de visiteurs interrogés sur ce sujet. Le choix d’accueillir le public est une option prépondérante afin qu’existe une bonne cohésion entre fréquentation et préservation.
Sorties généralistes
Il y a des choses qui font venir les gens. Des choses qui touchent à l’imaginaire ! Parlez de plantes carnivores et les gens se déplacent pour voir ça, pour voir le droséra par exemple. Le Cren Limousin, organisme gestionnaire de la réserve, a donc opté pour favoriser des sorties généralistes de découverte de jour et de nuit. Cette préférence correspond à une certaine approche. « Nous avons essayé de faire des sorties plus pointues : papillons, libellules, batraciens. Mais les gens sont moins réceptifs, ils ont peur de ne pas être à leur place dans une sortie de spécialistes. Ce n’est d’ailleurs pas un problème. Quand on met les gens en confiance, ils n’hésitent pas à poser des questions et l’on peut leur apporter des réponses très précises. Chose étrange, nombre de questions touchent non seulement à la connaissance, mais provoquent également des réflexions philosophiques. Parmi celles-là, une question récurrente, le « à quoi ça sert ? ». Une plante carnivore, à quoi ça sert ? Une loutre, à quoi ça sert ? Au début, cela désarçonne et je réponds souvent : Et vous, vous servez à quoi ? Cela ne sert à rien. On est tous là sur la même planète, nous faisons partie d’un tout . Certaines personnes sont interpellées, d’autres pensent que la nature est faite pour servir l’homme. Là, il faut faire la preuve de la nécessité de protéger les milieux naturels par le biais de l’utilité. On peut toujours expliquer que la nature est utile que « l’aspirine est faite à base de saule ». Ce qui est primordial, toujours, c’est de se mettre au niveau des gens, de les écouter et de parler leur langage ».
Offrir un privilège
Les animateurs aiment guider leur groupe hors du sentier. Ils offrent un privilège, d’ailleurs très apprécié. Mais le choix de l’itinéraire est cependant limité. Jamais ils ne conduisent les visiteurs sur des endroits fragiles tels les stations de spiranthe d’été (orchidée rarissime, dont la tourbière abrite une quarantaine de pieds). Et si les gestionnaires n’ont pas peur que les visiteurs reviennent, en aventuriers, sur des endroits sensibles, c’est que la tourbière sait se défendre : on se méfie toujours des milieux tourbeux, des lieux où l’on s’enfonce, des contrées qui abritent serpents et moustiques. C’est d’ailleurs un message clé : ne jamais s’écarter des chemins sans être accompagnés par un animateur !

Moune poli