S’entendre... pour déléguer la gestion du pâturage aux agriculteurs

 

Espaces naturels n°8 - octobre 2004

Le Dossier

Bruno Mounier
Directeur de la fédération des Conservatoires
Avec la participation de Mathieu Millot
Conservatoire des sites lorrains
 

La gestion agropastorale est souvent un choix de gestion efficace pour la biodiversité des milieux ouverts. Déléguée à un éleveur, celle-ci doit être concertée et raisonnée. De cette manière, l’éleveur pourra intégrer les enjeux biologiques tandis que le gestionnaire s’imprégnera des enjeux technico-économiques de l’exploitation agricole concernée.

Depuis vingt ans, les Conservatoires d’espaces naturels élaborent des projets de gestion agropastorale dans lesquels le partenariat avec les agriculteurs est un objectif clairement affirmé. Pourtant, lorsque les contraintes techniques ou socio-économiques locales ne permettent pas d’associer un exploitant agricole, la concrétisation du pâturage doit parfois s’appliquer en régie. Les deux formes de gestion nécessitent une approche préalable, qui doit toujours intégrer les enjeux techniques, administratifs et financiers permettant de développer des systèmes durables.
La recherche d’équilibre entre écologie, économie, et bien plus…
Intégrer un espace naturel dans un système d’exploitation agricole nécessite une réflexion préalable conjointe. L’éleveur doit connaître les enjeux de préservation du site et se les approprier, le gestionnaire doit intégrer les contraintes techniques et économiques garantes de la pérennité de l’exploitation agricole. Un site est toujours le résultat d’un ensemble de processus qui s’inscrivent dans une histoire. Ceux-ci ne peuvent être cernés par les seules analyses écologiques ou économiques. En ce sens, le ressenti de l’exploitant et sa perception de l’utilisation de l’espace sont une condition de réussite indéniable.
Certes, il existe des méthodes pour élaborer des itinéraires techniques, ou des cahiers des charges type, mais aucun n’est généralisable. Seule la construction conjointe d’un itinéraire est garante de la durabilité. Dans le cadre de ce processus de co-construction, le gestionnaire ne pourra faire valoir ses arguments (cahier des charges) qu’à condition d’intégrer une connaissance fine de l’exploitation agricole partenaire dans les enjeux de négociations. Enfin, et ce n’est pas la moindre des questions, la manière dont sont formulés les contrats joue un rôle important dans la prise en compte des droits et des devoirs. Elle fait d’ailleurs actuellement l’objet de discussion avec la profession agricole.
Rédiger le cahier des charges
La « co-production » d’un cahier des charges nécessite l’appropriation par les partenaires des objectifs de gestion opérationnalisés. Or, ce cahier des charges, intégrant les objectifs biologiques de conservation, doit aller jusqu’à définir précisément des actions préconisées et « à proscrire ». La nature, définition, calendrier ou « fourchette » de dates, suivi, éléments d’évolution et de contrôle des résultats des actions mises en œuvre doivent ainsi donner lieu à accord. Les paramètres socio-économiques, fonciers, agronomiques et zootechniques y sont bien sûr intégrés dès le début de l’élaboration du cahier des charges.
Sans pouvoir être exhaustif, les principaux facteurs entrant dans le raisonnement sont liés à :
1) l’équilibre économique de l’exploitation et le revenu dégagé par l’éleveur ou le gestionnaire (incidences sur le capital d’exploitation, sur les marges brutes, sur les primes et subventions existantes ou potentiellement accessibles) ;
2) l’intégration des contraintes dans le système d’exploitation (équilibre cultures-prairies-parcours, incidences sur les rotations de pâturage, sur la charge de travail annuelle ou ponctuelle…) ;
3) la compatibilité avec les contraintes foncières ou agronomiques existantes (mode de faire-valoir, aménagements fonciers, nécessaires ou existants, éloignement ou morcellement des parcelles, potentialité agronomique, facteurs culturaux limitants…) ;
4) l’intégration dans le système d’élevage et dans l’itinéraire zootechnique en place (place et incidence dans le système, le calendrier d’alimentation, les cycles de reproduction. Incidences également sur le mode d’exploitation des surfaces fourragères : fauche-pâture, libre, semi-libre, contraint…).
Par ailleurs, les contraintes d’exploitation liées aux objectifs de conservation du patrimoine naturel les plus souvent négociées et utilisées comme variables déterminantes sont les suivantes :
1) le chargement : il peut être adapté annuellement ou ponctuellement, par rotation ou présence régulière du cheptel. Chargement ponctuel élevé pour une forte pression de pâturage ou chargement moyen pour un pâturage extensif sur une longue durée, tous les cas de figure peuvent être étudiés en fonction des critères et des conséquences prévisibles sur les espèces à favoriser ;
2) les déplacements et transports d’animaux qui peuvent être envisagés en entraide, aide matérielle, mise à disposition (véhicules, clôtures, main-d’œuvre…) ;
3) le suivi technique qui peut (ou doit) être mené conjointement entre l’exploitant et le gestionnaire : observations, comptages, notations, tenue du carnet de pâturage, évaluation des effets…
4) l’adaptation du cheptel aux exigences de gestion. Le troupeau étant alors considéré comme un outil de gestion (plus que -purement- de production) peut être sujet d’évolutions en fonction des objectifs (augmentation du nombre, choix de race, évolution comportementale, type d’animaux…).
Certains aménagements fonciers ou d’exploitation peuvent également s’avérer nécessaires (clôtures bien sûr, matériel, aménagement de contention ou d’alimentation, points d’abreuvement, d’affouragement, plantations, débroussaillement…).
Dans certains cas, ces adaptations peuvent être aidées ou prises en charge par la collectivité ou l’organisme chargé de la gestion.
La multiplicité des expériences de gestion contractuelle atteste d’une réelle volonté partagée des gestionnaires et des agriculteurs de faire ensemble. Les accords locaux fonctionnent depuis longtemps. Les enjeux sont maintenant ailleurs, dans la mise en place d’outils cohérents dans le domaine du contractuel et des régimes d’aides. Dans ce domaine, il faut être sûr que seule une approche stratégique globale commune entre gestionnaire et agriculteur pourra faire avancer les choses.