Usage de produits vétérinaires

Gare à la pollution chimique

 

Espaces naturels n°8 - octobre 2004

Le Dossier

Jean-Pierre Lumaret
Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive - université Montpellier 3.
Faiek Errouissi
Université de Tunis
 

Les antiparasitaires, administrés au bétail avec différentes doses et formulations, se retrouvent en grande partie à l’état actif dans les déjections. On peut parfois constater une mortalité importante des insectes coprophages. Leur rôle est pourtant essentiel.

Combiné parfois au débroussaillage, à la fauche ou à la remise en cultures, le pâturage apparaît comme le moyen le plus efficace pour maintenir à moindre coût les espaces ouverts : les plus riches en espèces. Or, a priori, la gestion des milieux par le pâturage devrait être favorable à de nombreux invertébrés, en particulier les insectes coprophages. Dans les systèmes pâturés, la production fourragère dépend assez étroitement du recyclage de la matière organique produite et de la quantité d’éléments minéraux disponibles. Le fonctionnement est amélioré par un recyclage rapide des excréments lorsqu’ils sont dilacérés et enfouis par les organismes coprophages.
Le pâturage, source considérable
de biodiversité
En France, plus de trente familles de diptères sont inféodées aux déjections animales, tandis que près d’une centaine d’espèces de coléoptères scarabéides sont coprophages, sans compter les nombreux staphylins, histérides et hydrophilides prédateurs qui sont attirés par les déjections. Ces invertébrés sont eux-mêmes une source de nourriture parfois conséquente pour les oiseaux et de nombreux mammifères (carnivores, insectivores, chiroptères), parfois à des moments cruciaux de leur développement. Ainsi le grand rhinolophe, les sérotines et les noctules sont fortement dépendants des insectes coprophages qu’ils chassent au sol, tandis que leurs jeunes risquent de mourir de faim quand ils s’émancipent au mois d’août s’ils ne trouvent pas d’insectes dans les bouses.
Cela montre le danger encouru si l’on détruisait inconsidérément ou seulement si l’on réduisait la richesse et la diversité de ces organismes, clés de voûte du fonctionnement des espaces pâturés. Or ceux-ci sont parfois menacés par l’utilisation de certains médicaments utilisés en médecine vétérinaire. Les antiparasitaires, administrés au bétail avec différentes doses et formulations, se retrouvent en grande partie à l’état actif dans les déjections. On peut parfois constater un ralentissement de leur vitesse de dégradation, tandis que la mortalité des insectes coprophages est importante. Ainsi, un bovin traité à l’ivermectine administrée sous la forme d’un bolus à diffusion lente, relargue dans l’environnement cette molécule toxique pour les larves d’insectes coprophages à raison de 12 mg par jour pendant plus de quatre mois et demi d’affilée. Cependant, tous les médicaments vétérinaires n’ont pas ces inconvénients et certains sont inoffensifs ou peu agressifs vis-à-vis de la faune coprophage.
En conséquence, le gestionnaire qui aura pris l’option d’utiliser des animaux en pâturage extensif devra tenir compte du paramètre « traitement des animaux » s’il ne veut pas exposer l’espace qu’il a en charge à une pollution chimique diffuse et silencieuse. Certaines molécules nocives pour l’environnement sont relarguées en seulement quelques jours : un confinement des animaux sur une faible surface permettra de limiter les inconvénients d’un traitement qui par ailleurs peut s’avérer indispensable pour maintenir les animaux en bonne santé. Les molécules à propriétés insecticides qui sont relarguées pendant une période dépassant trois à quatre semaines seront à éviter, car la gestion des animaux pendant toute cette période peut s’avérer délicate. Enfin, les gestionnaires qui accueillent des animaux transhumants devront vérifier si ces animaux, qui sont souvent traités au moment de leur chargement en camion, ne participent pas massivement à la pollution chimique des pâturages de montagne. Un cahier des charges explicite, informant les éleveurs sur cet aspect particulier de leur activité, peut d’ailleurs être rédigé afin de limiter ce genre de problèmes.
Préserver la diversité par le pâturage est une option a priori favorable pour de nombreux invertébrés, en particulier les insectes coprophages, mais celle-ci doit faire l’objet d’un accompagnement et d’une surveillance afin que l’expérience ne conduise pas à terme à un résultat inverse à celui recherché.