La Pologne choisit de s’appuyer sur l’expérience française
Espaces naturels n°8 - octobre 2004
Emmanuel Thiry
Conseiller au ministère polonais de l’Environnement.
Le ministère polonais de l’Environnement a retenu la France pour l’accompagner dans la constitution de son réseau Natura 2000 et la mise en œuvre des directives Oiseaux et Habitats. En effet, pour favoriser l’intégration des directives européennes dans le fonctionnement administratif des pays en voie d’accession, la Communauté européenne permet aux « anciens » de mettre leur expérience au service des « nouveaux ». Cette politique prend la forme de jumelages institutionnels, entre ministères des pays membres et ministères des pays entrants. C’est le pays demandeur qui prend l’initiative et rédige le cahier des charges de l’appel à candidatures. Sur le terrain, ces coopérations ministérielles sont plus ou moins bien perçues. Entretien avec Emmanuel Thiry, conseiller au ministère de l’Environnement en Pologne.
La Pologne a préféré un jumelage avec la France alors que l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne étaient sur les rangs. Pourquoi ce choix quand notre pays a une si mauvaise image à propos de Natura 2000 ?
Le principe du jumelage est d’assurer des transferts d’expériences, de savoir-faire et d’outils. Il comporte donc un important volet échanges et formations, qui se traduit par des colloques, visites de sites, séquences d’information ou de formation. Cela concerne tous les aspects essentiels de la mise en œuvre de Natura 2000, qu’il s’agisse de l’organisation des différents échelons administratifs, de l’acquisition des moyens informatiques, de la stratégie de communication ou des outils de mise en œuvre : guides méthodologiques, cahiers d’habitats et d’espèces, guides opérationnels…
L’originalité du dossier français résidait dans l’importance du réseau mobilisé. L’offre réunissait toutes les compétences nécessaires à la mise en œuvre de Natura 2000. À cela s’ajoutaient des similitudes de situation entre la Pologne et la France : deux pays à dominante rurale, au fonctionnement administratif relativement centralisé.
Le ministère français de l’Écologie et du développement durable a confié la mise en œuvre opérationnelle du jumelage à la fédération des Parcs naturels régionaux. Elle a détaché un conseiller en Pologne, avec pour mission de mettre en œuvre le programme d’actions.
Pour vos interlocuteurs polonais, ce jumelage constituait certainement un passage obligé ? Comment avez-vous géré les résistances ?
L’exercice était difficile. La Pologne n’a attendu ni l’Europe, ni la France, pour développer une politique de protection de ses espaces naturels. Il existe déjà une solide culture des aires protégées, caractérisée par une approche fortement réglementaire et centralisée. Pour Natura 2000, la réaction première des autorités polonaises a donc été de faire a minima et de sous-estimer la complexité de la mise en œuvre des directives européennes.
Il a donc fallu avancer avec prudence et laisser la confiance s’instaurer. Il est inutile de chercher à vendre des solutions toutes faites avant que les problèmes ne se posent. Il faut attendre que la demande émerge d’elle-même, du simple fait des réalités de terrain. C’est alors qu’il devient possible de partager des expériences et des outils. Ainsi, l’idée et la forme des cahiers d’habitats a été reprise et adaptée. De même, le principe d’un guide méthodologique à l’attention des opérateurs de sites ou encore la structure des plans de conservation (Docob) des sites Natura 2000.
Se faire l’exégète de Natura 2000 dans les couloirs d’un ministère, cela doit avoir un aspect frustrant. Ne vous est-il pas arrivé de douter du véritable impact de votre action ?
Certes, le programme n’a tout d’abord concerné qu’un premier cercle de décideurs des services du ministère de l’Environnement, du comité Natura 2000 et de l’Académie polonaise des sciences ; soit une cinquantaine de personnes. Il faut toutefois y ajouter plusieurs centaines de collaborateurs des services environnements des seize préfectures de région, des agences de l’eau, des services forestiers et des vingt-cinq institutions locales qui interviennent sur les sept sites pilotes Natura 2000. Il est aussi prévu, pour la fin de l’année, de lancer une formation pour l’ensemble des partenaires institutionnels locaux de tous les futurs sites Natura 2000 polonais : environ 1 600 personnes.
Le principal obstacle à la diffusion d’un tel programme c’est son caractère éphémère. Initialement prévu sur 22 mois (décembre 2002 - octobre 2004) il a été prolongé sur 26 mois, jusqu’en février 2005. Il est de toute façon trop court pour faire vivre un cycle complet de diffusion des expériences. Le transfert doit donc se faire à marche forcée. Pour ce qui est de la suite, elle se fera sans nous, par capillarité et diffusion des méthodes de travail.
Y a-t-il eu place pour l’étonnement ou la découverte ?
Ce qui a le plus frappé les Polonais, c’est l’unicité du discours des intervenants français. Qu’il s’agisse des cadres du ministère, des experts du Muséum, des universitaires, ou des gestionnaires de terrain, tous ont véhiculé les mêmes fondamentaux : démarche d’élaboration des documents d’objectif, méthode de conduite de projet Natura 2000, importance de la concertation. En France, la création systématique de comités de pilotage est aujourd’hui une évidence. En Pologne, et même si l’idée de concertation n’est pas nouvelle, la création d’un comité de pilotage par site a pu surprendre. Toutefois, le principe a très vite fait son chemin parmi les acteurs locaux, y compris les plus réticents parmi les gestionnaires.
D’un point de vue français, et là j’apporte une touche plus personnelle, j’ai surtout relevé les différences de fonctionnement induites par les écarts de moyens. En Pologne, autant par nécessité que par culture, on va droit au but. Un guide méthodologique est rédigé par un référent, envoyé pour consultation à une dizaine de personnes et fait l’objet d’une à deux réunions de validation avant d’être adopté officiellement par le ministère. En France, le même guide exige deux années d’allers et retours et de concertation entre de très nombreux experts et organismes. Au final, le guide français sera certainement plus parfait et plus concerté. Sera-t-il pour autant plus pertinent au regard du coût social que représente un tel niveau de sophistication ? Cela m’interroge.
La Pologne avance à grands pas. Et ce n’est pas seulement du fait de l’expérience de ses prédécesseurs.
Recueilli par Joël Demasson