Le point de vue de David Sève

 
directeur des engagements et de la fondation Nature & Découvertes

Espaces naturels n°68 - octobre 2019

Autrement dit

Propos recueillis par Anne Perrin

De l’émerveillement face à la nature à l’envie de la protéger, il n’y a qu’un pas que David Sève, directeur de la fondation Nature & Découvertes, a franchi très jeune. Une vocation toute trouvée pour diriger une fondation qui, avec 10 % des bénéfi ces nets de l’entreprise, a pour objet la protection de la biodiversité et l'éducation à la nature.

David Sève directeur des engagements et de la fondation Nature & Découvertes © Nature & Découvertes

David Sève directeur des engagements et de la fondation Nature & Découvertes © Nature & Découvertes

Qu'est-ce que la biodiversité selon vous ?

La première fois que j’ai entendu le mot « biodiversité », c’était aux alentours de 1992. Pour moi c’était un synonyme de « nature ». J’ai mis un peu de temps à comprendre ce que le terme englobe : diversité dans l’espèce, des espèces et leurs interrelations... La biodiversité, c’est ce qui fait la qualité et la richesse de notre environnement, sans compter qu’on en fait partie et qu’on a une énorme incidence sur son évolution depuis la révolution industrielle. On a dû lui donner un nom pour que les gens comprennent son importance et leur impact. À l’occasion de l’année de la biodiversité en 2010, nous avons soutenu une exposition intitulée «Biodiversité, nos vies sont liées» à la fondation, qui mettait en évidence les impacts positifs ou négatifs sur la biodiversité de nos gestes du quotidien. En face de «biodiversité» très vite j’ai mis «anthropocène», ce terme a pour moi une dimension politique, il nous met face à notre responsabilité. Pour moi, biodiversité c’est avant tout émerveillement, curiosité, connaissance et forcément envie de protection. Que fait-on pour les générations à venir ? Que va-t-on leur laisser ?

Quelles sont les priorités pour protéger la biodiversité aujourd'hui ?

Je partirais de mon expérience personnelle. Enfant, j’étais déjà curieux du monde des oiseaux. Je suis ornithologue. Mon moteur, c’est la curiosité et l’émerveillement. Je me promène régulièrement avec des jumelles, j’aime écouter les oiseaux, les identifier. Mon approche n’est pas tant scientifique mais déterminée par une envie de mieux comprendre le monde par son observation minutieuse. Au moment d’entrer dans la vie professionnelle, alors que j’avais un baccalauréat scientifique, fait un DUT génie électrique et une école supérieure de commerce mais titulaire du permis de baguage toutes espèces du CRBPO (MNHN), j’ai effectué mon service national à la Tour du Valat. J’ai passé 10 mois à baguer des oiseaux au milieu des roselières du Ligagneau. Alors qu’on m’avait toujours dit qu’il était impossible de faire de l’ornithologie un métier, j’ai compris qu’on pouvait être davantage qu’un amateur éclairé. C’est comme cela que je suis rentré chez Nature & Découvertes. La fondation avait été créée en 1990, avec 10 % des bénéfices nets de l’entreprise Nature & Découvertes. Je suis devenu salarié en 1995, membre de la fondation en 1996 et responsable en 1998. Dès le départ, mon credo a été la connaissance pour la protection. J’ai beaucoup échangé avec des représentants de la société civile. Dans un premier temps j’ai pensé qu’il fallait s’engager pour protéger des espèces, et puis j’ai compris qu’il s’agissait d’un parti pris donc potentiellement défavorable à d’autres taxons et qu’il valait mieux privilégier une approche par milieu et souvent laisser faire la nature… car elle est complexe et fragile. Nous avons évolué dans ce sens au cours des années passées. Dans les années 1980, on n’aurait jamais laissé des forêts « en libre évolution » comme on le fait aujourd’hui. Au bout de 25 ans de mécénat, je pense qu’il faut avant tout transmettre connaissances et amour de la nature, inviter les citadins à rester en lien avec la nature et tout ce qu’elle peut leur apporter (santé, apaisement, équilibre, etc.). Nous sommes nombreux à déjà avoir pris l’avion pour aller à l’autre bout du monde et trop souvent dans une logique de consommation mal assumée. Or face à l’épuisement des ressources et à l’érosion de la biodiversité, il faut s’investir localement et consommer différemment. La cible, outre les enfants, ce sont les citoyens, les salariés, etc.

Comment s'engager pour la protection de l’environnement quand on est entrepreneur ?

La fondation finance de nombreux projets d’éducation au contact de la nature via des écoles. Nous sommes de ceux qui pensent qu’un enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une graine qu’on arrose pour qu’elle s’épanouisse. Chacun a son potentiel propre, la diversité fait la richesse d’une société. Dans ce contexte, enjeux écologiques et sociétaux doivent être rapprochés. Il faut une vision du développement durable à la fois écologique, économique et sociétale. Une entreprise ne doit pas seulement être profitable, elle doit reposer sur un modèle durable. En 2019, elle a des devoirs et surtout une responsabilité envers la société, et cela pas seulement en matière de mécénat ou de compensation. Son modèle d’affaires importe, les produits qu’elle vend, mais aussi la façon dont elle les produit et les diffuse. À Nature & Découvertes, nous finançons une fondation à hauteur de 10 % de nos bénéfices, nous travaillons sur notre bilan carbone et sommes certifiés ISO 14001 depuis les années 2000, nous sommes 1e B Corp1 de plus de 20 salariés depuis 2015, notre électricité est 100 % renouvelable... Mais cela ne suffit pas ! On doit aussi répondre à l’injonction de clients toujours en quête de nouveautés et les inviter à consommer autrement. Nous travaillons sur la qualité des produits vendus et sommes de plus en plus vigilants sur le choix des matières (bois géré, plastique recyclé, etc.), sur le recyclage ou le suremballage de nos produits, etc. Nous développons aussi des services immatériels comme notre offre de sorties à la découverte de la nature de proximité. Dans nos sorties nature, nous invitons les randonneurs à observer, s’asseoir, écouter, plutôt que ramasser.

À travers la fondation, nos salariés participent au choix d’une centaine de projets « coup de main » financés chaque année pour un montant total de 250 000 euros reversés : ils sont invités à défendre un projet local et participer au comité de sélection. Cela crée une culture d’entreprise, de responsabilité et une fierté d’avoir financé centre de soins, sorties école ou crèche, etc. Environ 70 de ces projets sont proposés à l’« arrondi en caisse » (les clients sont invités à arrondir leur achat à l’euro supérieur soit un don d’environ 0,20 € qui complète le versement initial de la fondation de 3 000 euros) l’année suivante, chacun dans un magasin local . Ainsi, les clients donnent du sens à leur achat et s’approprient le projet où ils peuvent à leur tour s’investir s’ils le souhaitent. Depuis 2015, nous avons collecté 5 millions d'euros via ce dispositif, intégralement reversés aux associations bénéficiaires.

Avez-vous personnellement des engagements pour la biodiversité?

Je suis très investi localement pour la protection de la Chouette chevêche dans les Yvelines et l’Essonne où j’ai monté un programme de baguage avec le Muséum de Paris. Il y a quelques années, on disait l’espèce en mauvaise posture. Des inventaires ont été effectués, nous permettant de poser judicieusement des nichoirs avec la population locale et les agriculteurs. En dix ans, cette petite chouette « aux yeux d’or », commensale de l’homme, très liée aux vergers et au patrimoine bâti rural, a doublé sa population sur notre secteur. Rien n’est irrémédiable, on peut trouver des solutions. Laisser faire la nature est certes important, mais parfois on peut lui donner des coups de pouce. La mobilisation pour la chevêche nous a permis de nous rapprocher des agriculteurs. Méfiants initialement, ces derniers ont vite compris l’intérêt d’avoir un nichoir à chevêche ou à effraie sur leur exploitation notamment pour lutter contre les rats qui pillaient le blé dans leurs hangars ou les surpopulations dans leurs champs sans utiliser de produits chimiques non sélectifs et destructeurs pour toute la chaîne alimentaire. Le bouche à oreille a fonctionné. Prochaine étape : la cause des busards lors des moissons...

La Chouette chevêche dite «chouette aux yeux d'or» porte bien son surnom. Bénéficiant d'un programme de protection dans les Yvelines, elle a vu sa population doubler, pour le plus grand bien des agriculteurs, ce petit rapace se nourrissant notamment de rats pillant leur blé. © Jean-Paul Gulia

(1) Certification octroyée aux sociétés commerciales répondant à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public.