Gestion

Préserver les pollinisateurs sauvages en milieu naturel

 

Espaces naturels n°59 - juillet 2017

Études - Recherches

Que peuvent faire les gestionnaires d’espaces naturels pour aider les pollinisateurs localement, et contribuer ainsi à l’amélioration de leur statut à de plus grandes échelles ? Zoom sur quatre « bonnes pratiques » identifiées par l’IPBES.

La Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié en 2016 sa première évaluation portant sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire. Ce rapport révèle qu’« un grand nombre d'espèces d’abeilles sauvages et de papillons ont connu des déclins en termes d’abondance, de présence et de diversité aux échelles locales et régionales en Europe ». Il s’agit là d’une situation alarmante pour les écosystèmes, sachant que 78 % des plantes sauvages à fleurs dépendent au moins en partie de la pollinisation animale pour leur reproduction.

Pesticides, simplification des paysages, parasites, maladies, espèces envahissantes et changements climatiques représentent des menaces multiples et connexes pour les pollinisateurs. Les gestionnaires d’espaces naturels peuvent aider les pollinisateurs localement, et contribuer ainsi à l’amélioration de leur statut à de plus grandes échelles. Voici quatre actions clés.

1. Beaucoup d’espaces naturels français sont composés d’une mosaïque d’habitats naturels et semi-naturels, une diversité qui favorise plusieurs espèces pollinisatrices. Par exemple, les zones lisières comportent une plus grande abondance et diversité locales d’abeilles sauvages que les coeurs de champs et de forêts (notion d'écotone). Selon le rapport de l’IPBES, des systèmes agricoles diversifiés peuvent augmenter l’abondance d’abeilles de plus de 70 % et la richesse spécifique d’abeilles sauvages de 50 %. Cette opportunité pour les pollinisateurs peut être optimisée si les conventions avec les exploitants agricoles au sein de l’espace protégé établissent des bonnes pratiques. Les bords de champs peuvent être semés de fleurs riches en nectar ou en pollen, en privilégiant les espèces locales, pour augmenter les ressources alimentaires des pollinisateurs, et donc indirectement, celle des Hommes.

De même, les bords de champs peuvent être tondus en fonction des périodes de floraison des cultures, afin d’étendre la durée de la disponibilité en ressources alimentaires. Il est démontré que ces mesures simples peuvent avoir un effet positif considérable sur le nombre d’insectes butinant. L’agriculture biologique favorise un plus grand nombre d’espèces de pollinisateurs sauvages que l’agriculture conventionnelle, et pourrait à ce titre faire l’objet d’une exigence commune des espaces naturels envers leurs exploitants conventionnés. Enfin, l’agriculture sans labour peut aider à préserver certaines espèces dont les larves ou les adultes qui nichent dans le sol. La pertinence de ces mesures est à adapter en fonction des connaissances, souvent incomplètes, des pratiques alimentaires et de nidification des pollinisateurs visés. Selon le rapport de l’IPBES, les efforts sont en tout cas récompensés : en l’absence de pollinisateurs, les rendements des principales cultures mondiales pourraient diminuer jusqu’à 90 %. En France, la part de la production alimentaire que l’on peut attribuer à l’action des insectes pollinisateurs représenterait quant à elle entre 2,3 et 5,3 milliards d’euros, d’après le récent rapport de l’Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques. C'est donc en partenariat avec les agriculteurs que le gestionnaire peut réussir à mener des actions concrètes en faveur des insectes pollinisateurs.

2. L’installation de ruches à proximité des cultures favorise la pollinisation, mais l’introduction d’abeilles domestiques pourrait faire peser des risques sur les populations de pollinisateurs sauvages. L’introduction de ruchers peut créer une concurrence pour les ressources alimentaires entre abeilles domestiques et pollinisateurs locaux, introduire dans l’écosystème des maladies jusqu’alors confinées aux ruches, voire appauvrir la diversité génétique des populations. Les interactions entre abeilles domestiques et pollinisateurs sauvages sont encore peu étudiées à ce jour et les espaces naturels pourraient être des terrains de choix pour accueillir ou conduire des recherches sur la question. Dans tous les cas, ils devraient garder à l’esprit ce risque de concurrence, en limitant l’apiculture dans certaines zones comme le font, par exemple, des sites du Conservatoire du littoral. Les apiculteurs peuvent aussi être sensibilisés à la question et récompensés pour leurs bonnes pratiques en la matière, grâce, par exemple, à la possibilité d'utiliser un label qualité qui leur permettra de vendre à des prix plus élevés, comme le propose la marque « Esprit Parc national » qui exige que les ruches soient suffisamment espacées pour éviter une densité trop forte de pollinisateurs sur certains sites.

3. Un autre exemple d’intervention en faveur des pollinisateurs sauvages concerne l'amélioration de la qualité écologique (diversité floristique) des prairies, comme, par exemple, celle des pelouses calcaires pour le papillon Apollon dans le Parc national des Cévennes. Le succès de ces mesures est d’autant plus important lorsque les habitats restaurés sont bien connectés à travers le paysage. Pour que les actions de restauration bénéficient spécifiquement aux pollinisateurs, des connaissances taxonomiques et écologiques avancées sont nécessaires sur les habitudes alimentaires des espèces, leur degré de spécialisation, etc.

4. Un dernier exemple concerne la gestion des forêts. Bien que le rapport de l’IPBES s’étende peu sur la question, il rappelle que de nombreux pollinisateurs sauvages solitaires, dont plusieurs papillons et scarabées, sont présents dans les forêts où le bois mort constitue un habitat particulièrement propice. Les pratiques de gestion forestière qui laissent les arbres morts sur pied ou le bois mort sur place, le maintien du lierre sur les troncs, l’aménagement d’éclaircies pour favoriser la flore au pied des arbres, ou encore l’association d’essences assurant une continuité dans la période de floraison, sont à promouvoir ici.

 
 

 

EN SAVOIR PLUS

IPBES (2016) : Résumé à l’intention des décideurs du rapport d’évaluation de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques concernant les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire. S. G. Potts & al. IPBES, Bonn, Allemagne.