Risques naturels, industriels, sanitaires

Soyons prêts

 
Le courrier

Philippe de Grissac
Vice-président de la LPO et directeur de la RNN des 7 îles

 

Je dois vous le dire tout net : je ne mettrai plus les pieds dans un espace naturel, c’est vraiment trop risqué !
Après avoir assisté au dernier forum des gestionnaires qui traitait des risques naturels, des tremblements de terre, des terribles maladies contagieuses en passant par les inondations et les incendies… Il y a de quoi ressentir quelques frissons, non ? Certes, je plaisante ; cependant, la somme des expériences dont les intervenants nous ont fait part mérite bien qu’on se pose quelques questions sur la nécessaire anticipation des crises au sein de nos structures.
Mon expérience fait écho à l’importance du sujet. J’ai, pour ma part, vécu deux grandes crises : la marée noire de l’Erika et la psychose organisée du H1N1. Dans les deux cas, à la LPO, nous avons certes été acteurs dans l’urgence mais nous avons également élaboré, dans le même temps, un guide technique pour la marée noire en partenariat avec le Cedre (Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) et publié un ouvrage sur la grippe aviaire. Ces outils, qui font référence, ont pour objectif d’anticiper d’autres crises de même nature à venir. Lors du forum, tous les intervenants ont mis en relief les deux maîtres mots qui accompagnent toute crise : anticipation et gouvernance.
L’anticipation c’est, tout simplement, s’attendre à l’improbable et savoir utiliser les expériences passées. Oui, un séisme majeur peut avoir lieu ici ; oui, une nouvelle maladie peut exploser là, dont la faune sauvage serait le vecteur… Soyons prêts.
Pour cela, nous devons ouvrir quelques pistes. Envisageons, par exemple, la création d’une cellule permanente d’anticipation des risques qui serait structurée sur le mode grenellien, de manière à pouvoir confronter les logiques d’acteurs. Nous pouvons également nous appuyer sur le passé et nos connaissances pour rédiger des guides techniques sur les grandes thématiques des risques avec les volets milieux naturels et biodiversité. L’Aten pourrait d’ailleurs être le maître d’ouvrage d’une telle ambition.
En ce qui concerne la gouvernance, observons qu’en temps de crise, tout se resserre autour du préfet, des collectivités et de services de l’État. La représentation des gestionnaires des espaces naturels protégés n’est pas acquise. En Crau, par exemple, dès l’accident, la réserve naturelle a été mise sous séquestre. Les gestionnaires qui auraient pu apporter savoir-faire et arguments dans l’élaboration des réponses à la crise ont été écartés.
Les naturalistes ont aussi à apporter et à défendre leur vision du monde, souvent éloignée de celle des technocrates. Parler d’une nature non figée, en perpétuel mouvement et dont les évolutions mêmes peuvent apporter d’autres types de réponses aux crises. Face au risque d’inondation par exemple, il n’est pas illusoire d’envisager l’abandon à la mer de certaines portions des rivages marins (surtout lorsqu’ils sont poldérisés). D’ailleurs, pourquoi cette question n’est-elle pas encore posée alors qu’en Europe d’autres pays ont su anticiper et s’y sont résolus ?
Face aux crises et aux évolutions, il est souvent très sain que notre parole soit politiquement incorrecte !

Extrait de son intervention de clôture du forum des gestionnaires organisé par l’Aten et la LPO en décembre 2011. http://forumdesgestionnaires.espaces-naturels.fr/