Rollon Mouchel-Blaisot, Préfet-administrateur des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf), 2008-2010

Terres australes et choix écologiques

 
« Notre expérience sera utile au réseau des réserves »

Espaces naturels n°33 - janvier 2011

L'entretien

 

 

 

 

 

Vous êtes gestionnaire du plus grand espace naturel protégé de France1. Ce territoire, dans les terres australes, implique-t-il une approche différente de la gestion ?
Deux millions d’hectares protégés, c’est une superficie exceptionnelle. Alors que d’autres pays, l’Australie par exemple, ont fermé leurs bases, la France a choisi de continuer ses missions scientifiques et de travailler sur la biosécurité afin d’éviter une plus grande contamination du milieu. Nous sommes vigilants quant aux espèces envahissantes et celles en danger ; l’Albatros d’Amsterdam par exemple.

Où sont les difficultés ?
Tout est hors normes, nous devons sans cesse inventer des solutions originales. Nous sommes face à une complexité technique et logistique difficile à concevoir. Par exemple, nous rapatrions nos déchets et nous cherchons à les diminuer à la source.
Pour importer moins d’énergie fossile, nous avons imaginé implanter des éoliennes. Mais les conditions sont extrêmes. Trop de vent ! Il nous faut des prototypes. Par ailleurs, il y a la nouvelle donne du changement climatique. Nos caisses en bois, par exemple, sont devenues contaminantes en véhiculant des graines qui ne poussaient pas il y a vingt ans. Le partage d’expérience, notamment avec nos collègues étrangers confrontés aux mêmes enjeux (Australie, Nouvelle Zélande… ), est essentiel.

Et puis, il s’agit de territoires méconnus…
Effectivement, nous sommes face aux limites de la connaissance. Connaissance du territoire bien sûr puisqu’il y a des lieux inexplorés, mais également connaissance scientifique. Nous abordons des problèmes à peine émergents en métropole. Ainsi, pour certaines espèces introduites, nous ne savons pas comment les supprimer. Comment éliminer la population de lapins de garenne sans introduire d’autres espèces par exemple ? Pour ne pas jouer les apprentis sorciers, nous avons démarré certaines études scientifiques. Notre expérience sera très utile au réseau des réserves.

La gouvernance de ces territoires est également atypique…
En tant que préfet-administrateur supérieur, je suis chargé de mettre en œuvre les décisions que j’ai prises, ce qui incite à bien réfléchir à ce que l’on fait ! Les scientifiques coordonnés par l’Institut polaire français et les instances compétentes (comité de l’environnement polaire, conseil de gestion de la réserve) sont naturellement des partenaires essentiels. Nous agissons dans le cadre d’un étroit partenariat.
Un exemple, celui de la gestion de la ressource halieutique : pour empêcher la disparition de la légine australe, poisson emblématique, l’administration des Taaf a mis en place un modèle de gestion durable s’appuyant sur une expertise scientifique indépendante et impliquant des armements.
Concrètement, ces dernières années, j’ai fixé des quotas en suivant, à la tonne près, les préconisations du Muséum national d’histoire naturelle, et arrêté une réglementation exigeante en termes environnementaux ; celle-ci est respectée. Chaque bateau part avec un contrôleur assermenté à bord.
À présent, le stock de légine australe se reconstitue et les armateurs ont entamé une démarche pour être reconnus pêcherie durable. Mais la menace permanente de la pêche illégale nécessite que l’on maintienne une surveillance constante pour éviter le pillage des ressources.

La population est essentiellement composée de scientifiques, avez-vous besoin de convaincre du bien-fondé des mesures prises ?
Quel que soit le public, des politiques de sensibilisation à l’écologie sont nécessaires. Au culte de l’aventure et de la liberté, nous devons ajouter la culture de la responsabilité. Nous sommes collectivement dépositaires d’un patrimoine exceptionnel qu’il nous faut préserver. Sur les bases, nous avons des agents dont la mission est de faire partager les raisons et impératifs de gestion d’une réserve naturelle. Chacun doit se sentir concerné par ce défi, comprendre que la France se porte garante d’une biodiversité dont la disparition serait irréversible pour la planète. Les Taaf donnent à notre pays la dimension du long terme.