Sciences

24h naturalistes : quel intérêt pour la biodiversité ?

 
Pédagogie - Animation

Caroline Joigneau-Guesnon
UNCPIE

 

Marathon naturaliste, 24h de la biodiversité, inventaires éclairs... En donnant rendez-vous à une date précise, de façon collective et participative, sur une zone géographique donnée, ces initiatives révèlent un réel engouement chez les habitants à participer à une action de science participative et constituent un apport conséquent de données naturalistes. Mais comment appréhender la portée de ce type d’action pour la biodiversité ? Est-ce une action de sensibilisation ponctuelle ou un rendez-vous régulier pour une réelle prise de conscience en faveur de la préservation du patrimoine naturel ? Le format proposé est-il pertinent pour contribuer à la connaissance scientifique ? Est-ce un outil utile pour les décideurs et gestionnaires ?

© CG 93

L'Observatoire départemental de la biodiversité urbaine (OBDU) du Conseil général de la Seine-Saint-Denis lance en 2010 les « 24h pour la biodiversité » sur son territoire. En partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle, Natureparif (Agence régionale pour la nature et la biodiversité en Ile-de-France) et des associations d’Ile-de-France, il invite les habitants à participer à des ateliers gratuits d’environ 2 heures permettant de leur faire découvrir la richesse du patrimoine naturel départemental et de leur faire prendre conscience du rôle qu’ils peuvent jouer dans la connaissance de la biodiversité locale. 
 
En effet, ce type d'action promeut l’implication citoyenne dans l’amélioration de la connaissance naturaliste, grâce à sa démarche « Observ’acteur » qui initie le public aux protocoles scientifiques et l’invite à participer à la collecte de données. Pour ce faire, toute une démarche de sensibilisation et de formation est élaborée : au préalable de l’événement, la formation des  animateurs du département et des partenaires aux protocoles Vigie-Nature choisis pour l’édition, leur assurant la maîtrise du protocole et la capacité à accompagner les participants dans la démarche de science participative ; puis durant la journée, des animations nature à destination du grand public en lien avec les protocoles de sciences participatives, une récolte des données naturalistes venant alimenter la base de données géolocalisées sur le patrimoine naturel du département, et la mise en place d’un parcours éducatif dédié pour suivre la biodiversité dans les collèges (partenariat avec Vigie-Nature École).
Pour l’équipe de l’OBDU, « participer à un protocole de sciences participatives dans le cadre des « 24h pour la biodiversité » est un pas de plus dans la sensibilisation à la nature et à sa protection ».

Au fil de ses 5 éditions, le projet prend de l’ampleur et la mobilisation atteint 920 participants en 2014. Au total depuis 2010, ce sont 2156 observations recueillies et 584 espèces différentes répertoriées pendant la manifestation : cela n’aurait pas été possible sans cette mobilisation citoyenne. Ni sans l’appui des communes du département qui se sont impliquées dans la mise en oeuvre sur site et ont assuré un bon relais d’information auprès des habitants à travers leurs outils de communication. En 2014, le Collectif national Sciences participatives - Biodiversité apporte son appui à la démultiplication de l’événement sur de nouveaux territoires, en communiquant sur cette initiative auprès des réseaux d’acteurs.

Animant déjà des actions naturalistes sur son territoire, le Parc naturel régional de l’Avesnois s’est quant à lui emparé du concept des « 24h pour la biodiversité » pour proposer 24 heures d’animations dédiées à la biodiversité sur un site particulier. Depuis 2012, sur un rythme bisannuel, il fait appel à une quinzaine de partenaires associatifs et naturalistes du territoire qui proposent des thèmes et des formats d’animation variés : conférences, sorties nature, inventaires naturalistes, spectacles... En coordonnant ce programme, le Parc vise à informer les habitants des actions liées à la biodiversité existant sur leur territoire auxquelles ils peuvent participer tout au long de l’année. L’information est largement diffusée via les réseaux sociaux, des affiches chez les partenaires et les commerçants, des marques-pages remis par le réseau des médiathèques, des encarts presse… et cela porte ses fruits : entre 500 et 600 personnes ont participé à chaque édition ! Cette forte mobilisation donne envie de poursuivre, tout en déplaçant la manifestation sur de nouveaux territoires et à différentes saisons, pour sensibiliser de nouveaux publics à cette richesse d’initiatives en faveur de la biodiversité et éviter tout essoufflement en termes de participation.

Une réalité que rencontre le Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin lorsqu’il anime en 2012 l’opération sur l’une des communes du territoire. L’objectif est d’attirer le public vers la découverte de la nature et le sensibiliser à la biodiversité, au même titre que d’autres animations nature que le Parc propose. S’il a trouvé du répondant auprès des naturalistes régionaux (57 naturalistes présents) et obtenu une quantité d’observations conséquente (968 espèces recensées), l’événement n’a pas attiré les habitants du territoire à la hauteur des espérances. Le Parc conseille de s’appuyer particulièrement sur les associations locales telles que le Comité des fêtes, l’association des parents d’élèves… et le conseil municipal pour inscrire le projet dans la vie locale, ce qui peut être l’une des clés pour réussir à toucher l’habitant.

Au regard des initiatives conduites par différents acteurs (voir encadré p. 41), l’événement se révèle être en priorité un outil de sensibilisation attractif, à destination des citoyens, acteurs socio- économiques et élus locaux. Il permet de leur présenter la richesse de la biodiversité et du patrimoine naturel qui les entoure souvent méconnu voire insoupçonné et pourtant si proche. La théorie, abordée lors de séances de sensibilisation, de conférences, de soirées- débat par exemple, laisse place à une suite concrète et appliquée sur le terrain. Les habitants et acteurs d’un même territoire participent à une action collective structurée sur un temps donné : ce projet collectif en faveur de la connaissance de la faune et la flore présentes sur leur territoire replace la notion de bien commun au coeur des discussions. En informant sur les programmes de sciences participatives existants et en invitant à une mise en pratique sur le lieu de vie des habitants, l’événement devient un support à une contribution citoyenne active qui pourra nourrir les travaux conduits par la communauté scientifique.
En effet, si l’accent est mis sur la dimension animation et participation du public, la présence de naturalistes et de partenaires scientifiques est le plus souvent associée, ce qui traduit une réelle volonté de contribuer à accroître la connaissance disponible sur un territoire donné. Cette contribution bénévole peut venir répondre, ponctuellement, à un déficit de couverture d’études et de suivis naturalistes sur des sites qui ne disposent pas de plan de suivi, faute de financement et de travail salarié possible. C’est dans cette optique que le Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne a organisé une journée « Marathon des naturalistes » en mobilisant ses bénévoles.

Et la présence de spécialistes aux côtés de publics observateurs peut limiter les erreurs de suivi de protocole ou de retranscription des observations. Si cette action ne constitue pas immédiatement un outil d’aide à la décision pour les décideurs et gestionnaires, elle peut y contribuer au fur et à mesure de ses renouvellements. Dans une approche sociale, cette action constitue une double occasion de rencontres. La couverture assez large de taxons étudiés lors de ces manifestations offre l’opportunité de faire se rencontrer les naturalistes en croisant les disciplines (entomologie, botanique…), décloisonner les spécialités et dynamiser le réseau constitué. C’est aussi un terrain particulièrement propice à la rencontre entre naturalistes et public novice, en faveur d’échanges, de partages, de formation « entre soi » dans le domaine de la biodiversité. À l’exemple de l’initiative menée par le CPIE du Périgord-Limousin en 2014 qui invite le public à observer les espèces qui évoluent dans 3 milieux différents (zone humide, pelouse sèche et forêt, zone bâtie), avec l’accompagnement d’une dizaine de naturalistes. Le résultat ? Des spécialistes de la faune et de la flore sauvages qui viennent partager leur passion avec le public, des groupes d’espèces jusquelà jamais étudiées sur le territoire et notamment 54 espèces d’araignées identifiées ! Un événement qui pourra, peut-être, devenir une porte d’entrée, un tremplin, pour initier de nouvelles vocations d’engagement bénévole, avec à terme un renforcement des forces vives qui donnent du temps pour la biodiversité ?