Après la démarche prospective, les choix restent à faire

 

Espaces naturels n°25 - janvier 2009

Le Dossier

Jean-François Lerat
Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux - Ministère de l’Agriculture et de la pêche

 

Ingénieur forestier, j’ai été confronté au choix d’essences et de sylvicultures pour des durées allant au-delà du siècle. J’ai aussi participé à la conception des premiers documents de gestion des espaces naturels dont j’avais la charge (plan de gestion des réserves naturelles, document d’objectif pour les sites Natura 2000). Avec de tels enjeux, j’ai été sensibilisé au long terme et aux démarches de prospective. J’ai vécu récemment trois expériences à différentes échelles de territoire et dans des positions diverses. Elles m’ont permis de tirer les leçons d’une telle démarche. Ainsi, je figurais comme membre du panel d’experts du groupe de la Bussière, lequel en 2005 a proposé quatre scénarios pour « agriculture, environnement et territoires » à l’horizon 2025. En 2003, je participais à la maîtrise d’ouvrage pour « la restauration des fonctionnalités environnementales de l’estuaire de la Seine à l’horizon 2025 ». Et en 2008, avec cinq collègues, nous venons de terminer une prospective sur « la forêt française en 2050 » avec l’appui de Sébastien Treyer.
Dans chacun de ces cas, le fait pour les participants de se situer dans un cadre socioéconomique et environnemental élargi les a obligés à envisager des situations déstabilisantes. Et notamment par le type de questions abordées : l’extension de la forêt de 50 % au cours des cinquante dernières années aux dépens des prairies pourrait-elle être remise en cause par une demande accrue de nourriture ou d’énergie, voire par l’évolution du climat ? Peut-on accepter le défrichement de plusieurs millions d’hectares ? Doit-on attendre ou subir ?
La prospective favorise le dialogue entre des acteurs qui peuvent un temps oublier leurs intérêts à court terme. Dans l’estuaire de la Seine par exemple, les conflits entre naturalistes, marins pêcheurs, ports et chasseurs empêchaient tout échange fructueux. L’explicitation des enjeux écologiques, économiques et sociaux a rouvert le débat et permis d’envisager des solutions pour le dragage et l’aménagement des digues : inimaginables il y a quelques années ! Il faut bien voir pourtant qu’un tel contexte favorise le fait qu’un groupe de pression essaie de manipuler ou de mettre en avant une solution aguichante ou repoussoir, laquelle permettrait un consensus trompeur. Une maîtrise d’ouvrage neutre mais active et un appui de méthode solide sont donc utiles pour faire entendre toutes les voix.
Un des principaux intérêts de la prospective est également de faire ressortir le danger des situations figées. Dans le cas de l’estuaire de la Seine, tous les participants ont pris conscience de l’inévitable dégradation en l’absence de mesures de restauration. Dans le cas de l’agriculture en 2025, des enjeux tels que les éléments fixes du paysage ou encore la nécessaire diminution des pesticides ont été mis en valeur.
Pour éviter la démobilisation des acteurs au cours de la démarche, un équilibre entre l’information et l’expression de chacun est à organiser. Inversement, il est souhaitable d’afficher que les responsables ne pourront pas trouver dans la prospective un refuge favorisant leur irresponsabilité.
En France, avec des milieux naturels plus ou moins modifiés par l’homme, l’avenir de la biodiversité est incertain. Or la démarche prospective, en obligeant à mettre en débat des points de vue scientifiques variés, permet aux acteurs locaux de s’impliquer dans les choix du futur. Au sein d’un groupe homogène avec un appui méthodologique léger, ou largement ouvert à de nombreux partenaires avec un accompagnement lourd, la prospective apparaît comme un outil précieux pour définir une gestion responsable des territoires en amont de choix indispensables pour le court et le moyen termes.