Ce que peuvent dire les figures rhétoriques
Espaces naturels n°50 - avril 2015
Par André Micoud
sociologue, membre du comité d'orientation de l'Aten
Parmi les figures rhétoriques que la langue permet de construire, les oxymores sont maintenant bien connus. Les « silences éloquents » et autres « soleil noir de la mélancolie »... nous ont familiarisés avec cette sorte de trope qui enchante les poètes mais que l'homme de la rue peut aussi bien produire à foison.
Réunissant deux mots que leur juxtaposition rend contradictoires cette figure a pour effet, en troublant l'entendement de chacun d'eux, de provoquer pour le moins la réflexion. Ainsi de l'agriculture biologique qui laisse assez entendre qu'il en est une autre qui, à ne pas s'occuper de la vie (bio) ne pourrait être que chimique ou mécanique. Mais aussi du développement durable qui peut faire comprendre tout à coup qu'on nous aurait caché jusque là que le développement tout court n'avait pas d'avenir. Ces expressions, et d'autres peut-être non politiquement correctes (un autre oxymore ?), peuvent inciter le sociologue à se poser la question de leur soudaine profusion.
Pour peu qu'au delà de l'exacte définition linguistique, il recueille dans son corpus des formes moins strictes, il ne manquera pas de s'étonner de leur air de famille. Ainsi de la biodiversité (inventée en 1984) qui relève sans doute également de la tautologie, mais qui pointe aussi, par contraste, le fantasme effrayant d'une vie qui ne serait qu'uniformité. Parmi les derniers nés, on signalera aussi l'anthropocène, une alliance de racines grecques à laquelle les géologues ne nous avaient pas habitué. Sans compter qu'il n'y a pas seulement les néologismes, mais aussi les mots du patrimoine de la langue qui s'habillent d'une nouvelle jeunesse, comme le mot de patrimoine précisément qui a pu devenir, naturel, culturel, immatériel, de l'humanité, etc.
De ce bouquet de fleurs rhétoriques on s'autorisera à conclure que le vivant pourrait ne plus durer. À bien y regarder en effet, toutes apparaissent greffées à la même problématique : qu'il n'est plus assuré, si nous n'y prenons pas garde, que la vie poursuive sa vie de façon autonome et auto-organisée. Soit ce dont il est question quand on parle de « crise écologique » qui signifie que le vivant pourrait ne plus durer.