Choisir l’apnée

 

Espaces naturels n°9 - janvier 2005

Management - Métiers

Michel Cantou
Instructeur national de plongée en apnée et de pêche sous-marine de la FFESSM. Membre de l’association Innovaqua.

 

Les atouts de l’apnée résident dans sa souplesse d’utilisation. Son mode d’incursion peut être pratiqué durant plusieurs heures sans exposer l’apnéiste au risque d’un accident de décompression. Sa mobilité d’intervention lui confère la possibilité de quadriller de grands espaces sous-marins.

Plus souple que la plongée en scaphandre, l’apnée s’appuie sur les capacités physiques d’adaptation de l’Homme. Rien d’étonnant à ce que l’utilisation de cette technique se multiplie dans divers secteurs professionnels. Il en est ainsi en aquaculture, pour le contrôle visuel de l’état des filets des cages d’élevage de poissons en mer, le ramassage des poissons morts. L’apnée est aussi utilisée dans la réalisation de nombreux programmes scientifiques tel le suivi ichtyologique de la faune colonisant les récifs artificiels ou le prélèvement de matériel biologique vivant ou d’échantillons de sédiments par carottage. Dans l’étang de Thau (région de Sète), les professionnels assurent la cueillette de la palourde cinq heures par jour entre quatre et huit mètres de profondeur et ce, depuis plus de vingt ans.
Comme pour la plongée en scaphandre, cette nouvelle approche du travail sous-marin doit intégrer la notion d’efforts physiques. Ainsi, une méthodologie s’impose. Elle prend en compte des notions aussi simples que la gestion de l’effort, de la flottabilité, l’organisation du travail en binôme, les paramètres momentanés du milieu (courant, température de l’eau, visibilité), la profondeur d’évolution… Lors d’un carottage de sédiment par exemple, un apnéiste qualifié pourra, sans prendre de dispositions particulières, sinon le respect des règles de sécurité, travailler entre la surface et une profondeur stabilisée à dix mètres. Le même prélèvement nécessitera une légère modification du protocole méthodologique dès qu’interviendra une progression vers la profondeur, avec notamment, l’utilisation recommandée d’une gueuse légère non freinée.
Mais l’apnée permet une rapidité d’exécution et la suppression des risques d’accidents que comportent les plongées en scaphandre lorsqu’on multiplie les allers-retours entre la surface et le fond. Ainsi par exemple, une étude d’impact, réalisée pour un projet d’immersion de récifs artificiels au large de Vias (Hérault), nécessitait de prélever par carottage quarante-quatre échantillons de sédiments. Espacés de deux cents mètres, ils devaient s’effectuer à une profondeur comprise entre dix-neuf et vingt-deux mètres. Deux apnéistes expérimentés ont pu réaliser ce travail en six heures.
Former le personnel
L’utilisation professionnelle de l’apnée demeure encore ponctuelle. Seuls les espaces naturels ont franchi le pas et mis en place une véritable stratégie d’apprentissage à l’adresse de leurs agents des Aires marines protégées.
Il y a trois ans, le Parc national de Port-Cros a été le premier à mettre en place un stage d’apnée en direction de ses agents. Encadrés par l’association Innovaqua, ces stages ont été relayés par l’Aten et se sont diversifiés. Ils mixent l’approche de l’apnée et de la sécurité sur et sous l’eau.
Avec le développement de la fréquentation des espaces marins de Méditerranée (180 millions de touristes actuellement, 300 millions prévus en 2020), on peut penser que les prérogatives des gardes des Aires marines protégés vont évoluer. Élargi à la sécurité, leur domaine de compétence se doublera d’une prise en charge, plus active, de la gestion de la biodiversité. L’apnée est le moyen le plus approprié de répondre à cette nouvelle donne. En effet, sa facilité d’utilisation, sa logistique légère, sa mise en œuvre rapide, lui permet d’être un outil très performant pour des opérations de contrôle sous-marin immédiat ou pour une intervention de secours subaquatique.
Il est réaliste d’imaginer que la fréquentation touristique aura un impact sur le milieu. Là encore, l’apnée peut être utilisée comme outil de vigilance écologique et comme moyen d’expertise visuelle ou photographique (dégâts provoqués par un ancrage ou bilan sur une zone particulièrement sensible en fin de saison estivale).
L’apnée permet aussi de réaliser des programmes scientifiques in situ. Elle autorise le suivi ichtyologique ou l’inventaire des populations de certaines espèces avec précision parce qu’elle permet de mixer les techniques scientifiques de comptage et celles d’observation et d’approche empruntées aux pêcheurs sous-marins. Les apnéistes pêcheurs sous-marins du Groupe d’étude du mérou sont devenus incontournables pour leur connaissance sur l’éthologie de la faune. Par leur aptitude à se faufiler dans les éboulis, les anfractuosités rocheuses, ils excellent dans le comptage des juvéniles. Là encore, l’apnéiste a un avantage sur le plongeur scaphandre car il couvre un terrain beaucoup plus important.
La nécessité d’une formation spécifique adaptée aux objectifs professionnels se fait entrevoir. L’apnée détient beaucoup d’atouts pour devenir un outil d’appoint intégré aux métiers de la mer. Les rudiments d’apprentissage nécessaires à sa pratique sont vite assimilés. Destinés à des débutants sachant simplement nager, les stages de formation effectués sur cinq jours et dont l’aisance à quinze mètres est validée en fin de stage, sont là pour le confirmer. Cette validation demeure cependant une étape, un éveil à l’apnée. Seule une pratique régulière permet de progresser, amène à mieux cerner ses propres possibilités et à stabiliser définitivement cet apprentissage.