Au cœur d’une question juridico-politique

 

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Le Dossier

André Etchelecou
Président du conseil scientifique du Parc national des Pyrénées. Coordinateur de la conférence des présidents de conseils scientifiques des parcs nationaux (2007-2008).

 

L’arrêté du 23 février 2007 sur les principes fondamentaux applicables à tous les parcs nationaux stipule la nécessité d’identifier les principaux éléments constitutifs du caractère du parc national, même pour les parcs nationaux déjà créés.
Cette exigence de définition a minima peut surprendre. Elle repose en fait sur une dimension tactique qui permettra au contrôle de légalité de s’exercer en se référant à ces « principaux éléments constitutifs du caractère ». C’est par la concertation autour de la charte que les acteurs du territoire feront émerger les quelques mots schématisant ce « caractère ». Des distinctions liées aux secteurs géographiques apparaîtront probablement mais une hiérarchisation des éléments énoncés s’imposera, pour ne retenir que les « principaux éléments constitutifs ».
Comme pour la définition de l’esprit des lieux, des interprétations très différentes, voire opposées, vont logiquement apparaître. Elles dépendent des vision, culture, philosophie, religion et de manière plus générale des intérêts matériels et immatériels de chacun. Mais ici, l’enjeu, se fait autre : le caractère, qui conditionne l’esprit des lieux, porte une dimension juridique. C’est là que le bât blesse.
Jusqu’ici, la loi impose aux conseils scientifiques de délivrer un avis pour apprécier les incidences d’un projet sur le cœur du parc national. Lorsque les projets concernent l’aire d’adhésion, le principe de précaution est souvent appliqué en conditionnant l’avis favorable à l’absence d’incidences notables sur le cœur du parc. Les conseils scientifiques statuent au cas par cas, souvent après expertise de terrain et confrontation transdisciplinaire. Quarante ans de pratique démontrent que cette approche est efficace pour apprécier la compatibilité au caractère du parc national.
A contrario, une définition « squelettique » du caractère fait courir le risque de voir le pouvoir d’appréciation des conseils scientifiques limité. En effet, cette définition aura nécessairement pour incidence de cadrer les critères de compatibilité des autorisations, et donc de canaliser les avis des conseils scientifiques. Ceux-ci verront leurs analyses juridiquement contraintes par les éléments retenus dans la charte (ce ne serait pas pour déplaire à certains…). Par exemple, si on considérait que le pastoralisme était un élément principal constitutif du caractère d’un parc national, comment dès lors ne pas autoriser de piste nouvelle d’accès pour cette activité dans le cœur du parc ? Jusqu’à présent, l’avis du conseil scientifique était plutôt défavorable compte tenu des incidences sur le milieu naturel protégé.
Ainsi, les « principaux éléments constitutifs du caractère » réduiraient la large mission d’appréciation donnée aux conseils scientifiques. Un décret peut-il réduire la portée légale du caractère par quelques motsclés (les principaux éléments), cela à la demande d’un arrêté ?
Les parcs nationaux sont soumis à de très forts enjeux territoriaux, lesquels n’ont souvent rien à voir avec la conservation du patrimoine. C’est pourquoi les conseils scientifiques doivent garder leur liberté d’appréciation. Car, aujourd’hui plus que jamais, un double enjeu attend les gestionnaires des parcs nationaux : la préservation d’un maximum d’espaces non aménagés dans les cœurs, avec un développement durable du territoire exemplaire dans les aires d’adhésion.