Explorer l’imaginaire pour orienter le développement

 
Le chemin de Compostelle à la recherche de son identité

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Le Dossier

Sylvie Rebillard
Sémiologue Qassiopé recherche sémiotique et sociologique appliqué au marketing

Plus on va loin dans la connaissance de l’identité du territoire, plus on possède une compréhension fine de son potentiel et mieux on est à même de gérer son apparence et d’élaborer une stratégie de développement sur le long terme.

Le chemin de Compostelle ! Classé itinéraire culturel européen par le Conseil de l’Europe en 1987, puis inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 1988, son devenir est un enjeu important pour les régions qu’il traverse. Aussi, en 2003, une étude se penche sur les publics qui l’empruntent dans le but d’aboutir à un projet de développement ainsi qu’à des préconisations d’aménagement du chemin : un des enjeux majeurs étant la sauvegarde de son identité profonde. En effet, pour un territoire comme pour un individu, la meilleure façon d’exister et de s’épanouir réside dans sa capacité à être en phase avec cette identité.

Analyse identitaire ? L’analyse identitaire du territoire ne relève donc, ni de la seule observation des pratiques, ni d’une étude d’image classique, elle s’appuie sur la perception de l’imaginaire collectif, l’analyse des mythes fondateurs, la connaissance des valeurs identitaires…
En effet, autour d’un « objet » matériel, culturel ou social, chaque groupe humain construit un imaginaire au travers de récits mythiques ou simplement métaphoriques. Mis en situation, chacun va spontanément proposer une interprétation cohérente de son réel et dessiner
les contenus identitaires enracinés dans la conscience collective. Il en est ainsi pour le chemin de Compostelle dont la réalité tangible n’est pas une vérité univoque et stable. Elle existe surtout à travers « la reconstruction » imaginaire de ceux qui l’appréhendent.
C’est ce principe qui a guidé l’exploration auprès des divers types de cheminants ayant volontiers accepté de s’exprimer. Il a été, alors, possible de dessiner les contenus identitaires enfouis et d’en révéler le sens.
Qu’a-t-on découvert ? L’imaginaire lié au chemin de Compostelle est balisé par quatre points cardinaux (voir schéma). Son identité se base sur deux piliers fondamentaux de la construction de la mémoire collective de l’humanité : le mythe (ou l’histoire) et la spiritualité (ou la religion). Ces valeurs fondatrices constituent le noyau symbolique de ce chemin. Elles en assurent la pérennité, elles en constituent l’essence et le sens.
Au demeurant, il est intéressant de noter que cet imaginaire exceptionnel est conforté par l’expérience tangible des cheminants. Autrement dit, la réalité vécue du chemin (l’expérience que l’on vit lorsqu’on le parcourt) reflète le chemin imaginaire ou vice et versa. Il en ressort avec certitude que tout aménagement, tout projet de développement doit préserver cet équilibre, et venir conforter l’imaginaire, sous peine de perte d’identité.
Comprendre quelles sont les représentations qui, pour le cheminant, confèrent une existence au chemin, par quels processus il s’identifie à lui, permet de déceler la valeur symbolique d’une pratique apparemment similaire (marcher, d’une halte à l’autre, sur le chemin de Compostelle, avec chaussures de marche et sac à dos…) et qui en fait dissimule des représentations et des enjeux bien différents.
Comme cette valeur symbolique (inconsciente) ne peut être atteinte au travers du discours social, intrinsèquement rationalisé, il faut donc analyser le « langage imaginaire » qui s’exprime principalement au travers de signifiants (images et métaphores).

De l’analyse à l’opérationnalité. Les valeurs portées par son territoire imaginaire et les attentes qu’il convoque : dépouillement, simplicité, convivialité, liberté, universalité… indiquent les actions à mener en termes d’aménagement, d’hébergement, d’accueil. Elles permettent la définition d’un cadre de développement coordonné :
• autour des valeurs fondatrices qu’il va s’agir de préserver et pérenniser en tant que valeurs patrimoniales de l’humanité (Unesco) ;
• autour de la symbolique de lien et d’échange qui appelle le développement et la valorisation des territoires traversés grâce à des échanges tant humains qu’économiques par opposition à une exploitation purement mercantile…
L’étude permet aussi d’aboutir à la formulation de préconisations concrètes en matière de service, d’équipements, de communication, d’information, de promotion et d’organisation. Dans ce cas-là, il s’agit de privilégier un aménagement à minima : se contenter d’aménagements basiques et fonctionnels tels le développement de points d’eau potable, la sécurisation des passages sur les routes, le balisage directionnel dans les villes. Et spécifiquement pour répondre aux attentes de certains types de cheminants (cf. typologie), on signalera des sites dignes d’intérêt et on développera quelques services « facilitants », tels des points d’information dans les haltes ou des parkings dans les principales villes départs.
Par ailleurs, le chemin sera matérialisé par une signalétique complémentaire permettant de l’associer au patrimoine jacquaire en suivant la charte graphique du Conseil de l’Europe.
Au cours de la dernière décennie, la fréquentation des chemins de Compostelle s’est fortement amplifiée.