Monde

Compensation écologique, une maturité hétérogène

 
Vu ailleurs

Morgane Guérin, chargée d’études à CDC Biodiversité 
Philippe Thiévent, directeur de CDC Biodiversité

En matière de compensation écologique, quelques fondamentaux se retrouvent dans une bonne partie des pays qui la pratiquent. Mais certains points restent encore à développer : compensation par l'offre, équivalence et additionnalité écologique, mais aussi le processus de contrôle de bonne réalisation et de pérennité des mesures.

Mission économie de la biodiversité (2014). État des lieux de la compensation écologique à l'international : diversité du mécanisme et de sa mise en oeuvre

Source : Mission économie de la biodiversité (2014). État des lieux de la compensation écologique à l'international : diversité du mécanisme et de sa mise en oeuvre. BIODIV'2050, mai 2014, no. 3, p.8-12

Équivalence écologique, durée des mesures compensatoires, suivi et contrôle, compensation par l’offre... Ces termes ne représentent qu’une partie des débats scientifiques et éthiques liés à la compensation écologique, en France comme dans le monde. Ces éléments ont été réfléchis par CDC Biodiversité dans le cadre de la Mission économie de la biodiversité de la Caisse des dépôts dans une étude portant sur onze pays, comparés au cadre français. 

DES FONDAMENTAUX PARTAGÉS

Depuis l’émergence du principe en 1958, le nombre de pays mettant en œuvre la compensation écologique n’a cessé d’augmenter. À ce jour, on estime que vingt-sept pays – dont la France – mettent en œuvre un mécanisme de compensation écologique imposé par la réglementation, et que trente-trois pays sont en train d’en développer un (cf. carte). Le partage d’expérience et la définition de grandes orientations n’en deviennent que plus importants. Des initiatives émergent en ce sens, telles que la No Net Loss Initiative pour les pays européens, portée par les États, ou encore le Business and Biodiversity Offsets Program (BBOP), programme international de collaboration et de partage d’expérience sur la compensation écologique, porté par la société civile.

Malgré une importante disparité dans les réglementations et pratiques, les grandes tendances sont identifiées. En premier lieu, l’approche hiérarchisée de la séquence éviter-réduire-compenser, qui fait consensus. La grande majorité des pays souligne en effet l’importance de ne considérer la compensation qu’à la suite des étapes primordiales d’évitement et de réduction. Il reste toutefois à veiller au respect de cette chronologie.
De même, sont reconnues comme des conditions-clés de la pertinence des mesures compensatoires, l’atteinte d’objectifs tels que : la non-perte nette de biodiversité (cf. Espaces naturels n°49, Les mots pour le dire), l’équivalence écologique, ainsi que l’additionnalité* des actions. Le contrôle effectif des résultats obtenus revêt lui aussi un caractère fondamental, mais reste le plus souvent insuffisant.

L’expérimentation de compensation par l’offre ou Réserve d’actifs naturels (par exemple en France, l’opération Cossure dans les Bouches-du-Rhône initiée par CDC Biodiversité en 2008) permet d’étayer la démarche sur ces points fondamentaux. Cette forme de compensation consiste en la réa­ lisation anticipée, par un opérateur spécialisé, d’actions de restauration, réhabilitation, création ou préservation d’habitats, qui pourront servir de compensation à de futurs projets. À ce jour, ce principe existe déjà aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Allemagne et en Malaisie ; et il est expérimenté dans au moins quatre autres pays (France, Royaume-Uni, Espagne et Luxembourg).

MAIS DES PARTICULARITÉS QUI SUBSISTENT

Si en France elle constitue une obligation légale, dans plusieurs pays, et en particulier ceux en développement, la compensation n’est pas encore intégrée dans le corpus législatif. Dans certains cas, l’aménageur décide néanmoins d’éviter, réduire, compenser les impacts de ses projets, encouragé en ce sens par des cahiers des charges contraignants des financeurs. En outre, au-delà de la compensation à la demande et de la compensation par l’offre, la mise en œuvre d’une compensation financière – c’est-à-dire un flux financier vers un organisme tiers au titre de la compensation, par exemple via un fonds de compensation – est acceptée dans plusieurs pays (ex. : États-Unis, Canada, Allemagne, Pays-Bas, Brésil, Inde, Afrique du Sud). En France, ce mécanisme n’est possible que pour la compensation régie par le code forestier. Une autre différence majeure repose sur la possibilité pour certains pays de mettre en œuvre, au titre de la compensation, des actions en faveur d’une composante de la biodiversité différente de celle impactée. C’est notamment le cas aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Luxembourg et en Suisse. L’Australie, l’Espagne et l’Afrique du Sud constituent un cas particulier : ces mesures de type like for unlike sont autorisées dès lors que les actions visent un habitat d’un enjeu jugé plus important que celui impacté (trading-up).

Certaines pratiques concernant l’équivalence écologique présentées par le BBOP comme des exemples à suivre ne font pas l’unanimité dans la société civile française (cf. Espaces naturels n° 53, p.8). Par exemple, l’application de méthodes d’équivalence écologique qui intègrent des notions de type like for unlike ou l’attribution de points aux habitats. Suite à cette étude, il est possible d’imaginer que la position actuelle évolue dans les années à venir, sur la base de considérations strictement écologiques et de hiérarchisation des enjeux prioritaires au niveau d’un bassin biogéographique.

LA NÉCESSITÉ D’UN RÉEL CONTRÔLE POUR GARANTIR RÉALISATION ET PÉRENNITÉ DES MESURES

La mise en place d’outils permettant la pérennité des mesures compensatoires et le suivi et le contrôle des obligations des aménageurs s’avèrent indispensables. Aux États-Unis et en Australie, l’accréditation des banques de compensation oblige les opérateurs à apporter des garanties de pérennité des actions menées (fonds fiduciaires, servitudes environnementales conventionnelles, plans de financement à long terme). Les servitudes environnementales contractualisées peuvent être sources d’inspiration pour la mise en place des obligations réelles environnementales actuellement envisagées dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. De la même façon qu’il existe en Australie et aux États-Unis, un registre national des opérations de compensation écologique pourrait être mis en place en France, tel qu’il a par exemple été construit pour la compensation carbone.

Enfin, l’existence en Australie et aux États-Unis d’une instance spécialisée indépendante dédiée au contrôle de la mise en œuvre effective des mesures d’évitement, de réduction et de compensation, montre sa pertinence pour assurer l’efficacité et la pérennité des actions de réparation. Certaines de ces évolutions sont envisagées en France par le projet de loi sur la biodiversité. On y trouve par exemple le registre national, les obligations réelles, ou encore, le recours à un opérateur global de compensation bénéficiant de la robustesse économique et des compétences interdisciplinaires fondamentales pour garantir l’efficacité et la pérennité des mesures compensatoires. La question du contrôle effectif n’est pas abordée ; elle est pourtant décisive dans l’application et l’efficacité réelle du droit. 

 

 * L’additionnalité est la caractéristique d’une mesure dont la plus-value écologique vient s’ajouter ou compléter un programme d’actions existant par ailleurs. En France, une mesure compensatoire doit être additionnelle à la fois d’un point de vue écologique, c’est-à-dire qu’elle doit apporter un gain écologique par rapport à l’état initial ; et par rapport aux engagements publics et privés, c’est-à-dire qu’elle doit aller au-delà des actions que l’État, les collectivités ou d’autres maîtres d’ouvrage se sont engagés à mettre en œuvre.