L’objectif de non-perte nette

 

Espaces naturels n°49 - janvier 2015

Des mots pour le dire

Baptiste Regnery
Chef de projet écologue au Service du patrimoine naturel (MNHN)

Transformer les écosystèmes, les détruire, tout en conservant la biodiversité ; quelle idée ! Sorti de son contexte, l’objectif politique de « no net loss » est saugrenu. Pourtant, lorsque nous observons l’état actuel de la biosphère, cet objectif fait sens. Voyons plutôt. On estime que plus de 80 % de la surface terrestre ont été modifiés par les activités humaines. Les océans ne sont pas non plus épargnés par les impacts anthropiques : destruction des habitats, pollutions chimiques et sonores, surexploitation des ressources… La consommation d’espace et d’énergie par l’humanité fait payer un lourd tribut par la biodiversité. De plus, tous les scénarios annoncent que ces impacts pourraient se poursuivre dans les prochaines décennies.

Pourtant, l’Homme a la capacité d’agir non seulement négativement, mais aussi positivement, sur l’état de la biodiversité. L’amélioration de l’état de conservation des espèces et de leurs habitats, et le fonctionnement des écosystèmes de manière générale grâce à la gestion écologique ou encore l’amélioration de la qualité de certains cours d’eau, en sont des exemples. Reste à mieux équilibrer les effets négatifs et positifs, tout en sachant que certains effets négatifs ne peuvent être réparés.

En posant une référence claire, qui peut être mesurée et quantifiée par les écologues, l’objectif de non-perte nette offre l’opportunité d’un cadre d’analyse théorique et pratique sur les interactions Homme-nature. L’idée de nonperte nette n’est pas de figer l’aménagement du territoire mais de mieux équilibrer les pertes et gains écologiques causés par les activités humaines. En pratique, une première piste serait évidemment de commencer par diminuer notre pression sur les écosystèmes. Néanmoins, le développement humain peut difficilement s’affranchir de toute forme d’impact sur le vivant qui nous entoure. Face à des impacts jugés inévitables, une autre piste pourrait être la compensation écologique, qui doit reposer sur des bases scientifiques solides et nécessite l’implication de tous les acteurs de la société (voir le n°45 d’Espaces naturels sur ce thème).

Atteindre l’objectif de nonperte nette nécessite de nous interroger sur le sens de nos impacts, de reconnaître nos dettes envers la nature (y compris lorsque nous développons des projets d’intérêt public majeur) et proposer des solutions pour mieux concilier le développement humain et la conservation de la biodiversité. L’espace de réflexion et d’innovation est considérable, tant sur le plan écologique que sur le plan économique, social, et philosophique.