Éloge de la collaboration gestionnaire/entomologiste

 

Espaces naturels n°49 - janvier 2015

Le Dossier

Bruno Nicolas
chargé de mission entomologie à Eden 62

Faire appel à des compétences pointues est devenu nécessaire pour faire des choix de gestion pertinents. Il faut parfois savoir chercher à l'extérieur des équipes de gestionnaires.

Aujourd’hui, la tâche du gestionnaire d’espaces naturels s’est considérablement compliquée. Il est confronté à la nécessité de prendre en compte de nombreux paramètres inhérents au caractère complexe du vivant. Les connaissances progressant, face aux différents enjeux de gestion, il est conduit à faire des choix basés sur une démarche multi-critères.

La prise en compte des insectes s'est améliorée. Après les papillons, odonates, et autres orthoptères, déjà étudiés pour leur aspect de bioindicateurs, de nouveaux groupes prometteurs sont de plus en plus explorés. Les syrphes en sont le meilleur exemple récent, utilisés pour évaluer l’état de conservation d’un milieu. Mais face à ces exemples, le champ des connaissances reste encore à explorer pour de nombreux autres groupes où nous en sommes à faire l’état des lieux. Nous pouvons citer pêle-mêle les hétérocères, les hyménoptères pollinisateurs comme les bourdons, les coléoptères saproxyliques, coprophages, coccinelles, curculionidés, hydrocanthares (coléoptères aquatiques), les hémiptères (punaises) terrestres ou aquatiques, et la liste est loin d’être exhaustive.

Pour les inventorier, le gestionnaire n’a pas toujours (voire rarement) les compétences nécessaires en interne. Son recours est de pouvoir faire appel à des spécialistes extérieurs. Les associations naturalistes sont bien souvent le lieu où rencontrer des experts qualifiés. Ces bénévoles, passionnés par leur activité entomologique, qui pratiquent depuis de très nombreuses années, sont devenus des partenaires indispensables. Un partenariat reste à créer, il sera bénéfique aux deux parties. Le gestionnaire a besoin d’informations sur ses sites : le plus souvent un inventaire est à réaliser, afin de connaître les espèces présentes, leur statut de rareté et leurs exigences écologiques. L’entomologiste bénévole, quant à lui, complètera sa connaissance de la répartition des espèces en accédant dans de bonnes conditions à des sites où les prélèvements nécessitent une autorisation.

C’est la voie que nous avons suivie au sein de notre structure, le syndicat mixte Eden 62 (organisme gestionnaire, pour le conseil général, des espaces naturels sensibles du Pas-de-Calais). Comme exemple de partenariat au bénéfice réciproque, nous pouvons citer la collaboration que nous avons tissée avec Daniel Lohez.. Ce spécialiste des coléoptères aquatiques nous a contactés pour accéder à des milieux particuliers pour compléter son catalogue moderne des coléoptères aquatiques du nord de la France. Cette demande correspondait à une attente que nous avions diagnostiquée en interne, mais à laquelle nous n’avions que partiellement commencé à répondre, en lançant un inventaire des coléoptères aquatiques sur nos ENS, mais réduit uniquement à ceux dépassant le cm (espèces pouvant être facilement déterminées sur le terrain). Cela limitait considérablement l’intérêt de l’inventaire.

Daniel étant le spécialiste régional, mais aussi l’un des rares spécialistes nationaux, nous avions la sécurité d’avoir un inventaire fiable. Ce retraité est un entomologiste de passion depuis une cinquantaine d’années, il est aussi le trésorier de la Société entomologique du nord de la France (SENF). Il s’est intéressé d’abord aux papillons, aux hétérocères, aux coléoptères carabiques, scarabées, lucanides, cérambycides, coccinelles, et plus particulièrement aux coléoptères aquatiques depuis une vingtaine d’années.

Daniel a ainsi pu prospecter sur onze de nos sites, sur des milieux variés, comme des sites dunaires, des boisements, des marais. Il y a recensé 166 espèces de coléoptères aquatiques, soit plus des trois quarts des espèces du catalogue moderne (Nord - Pas-de-Calais - Somme). Parmi les espèces inventoriées, un tiers a un statut assez rare, six un statut rare, plusieurs sont nouvelles pour la région, et une est nouvelle pour la France, Haliplus apicalis (voir ci-dessous). Des inventaires sont encore en cours sur des sites, car la méthodologie d’inventaire prévoit 3 passages par an pendant 2 ans. À notre niveau, le bilan, qui peut être tiré de notre collaboration avec Daniel Lohez, est entièrement bénéfique, car nous avons sur onze sites une liste de coléoptères aquatiques qui crée un état zéro des connaissances sur ce groupe. Il en découle une sensibilisation sur cette richesse particulière de nos milieux humides, une responsabilité également sur le maintien de la diversité de ces milieux pour conserver ces espèces. Nous sommes amenés aussi à porter une attention toute particulière aux espèces patrimoniales mises en évidence.