Compenser aussi la perte de services écologiques

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Le courrier

Mélanie Burylo
Chercheur au Muséum national d’histoire naturelle
Baptiste Regnery
Chercheur au Muséum national d’histoire naturelle
Romain Julliard
Chercheur au Muséum national d’histoire naturelle
Brice Quenouille
Biositiv

Les mesures compensatoires sont-elles adaptées aux réalités et besoins de sauvegarde de la nature ? Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question. Ils plaident ici pour ne pas se limiter à prendre en compte la biodiversité et intégrer les services écologiques.

Depuis la loi de Protection de la nature de 1976, des mesures compensatoires doivent accompagner tout projet d’aménagement générant des pertes résiduelles de biodiversité. Des composantes essentielles de biodiversité sont cependant exclues de la pratique actuelle de compensation et un cadre méthodologique pour l’intégration des services écologiques dans les mesures compensatoires reste à construire.

La réglementation nationale a récemment renforcé l’obligation de compensation lorsque des projets impactent des espèces protégées ou des habitats essentiels au bon déroulement de leurs cycles biologiques. Mais la biodiversité est bien plus qu’une liste d’espèces remarquables. Elle est aussi un ensemble d’interactions, de fonctionnalités et offre de nombreux services écologiques définis comme les bénéfices que les humains tirent du fonctionnement des écosystèmes. Dans des pays comme la France, où les interactions entre processus naturels et activités humaines sont permanentes, l’état des écosystèmes dépend largement des pratiques de gestion courante. Réciproquement, les bénéfices des usages de la nature dépendent du fonctionnement des écosystèmes. La compensation réglementaire se préoccupe peu de cette relation homme/nature pourtant essentielle au bon fonctionnement de l’ensemble. En se focalisant sur la biodiversité remarquable, elle peut à cet égard être mal comprise par les acteurs des territoires : pourquoi tant d’effort pour une espèce protégée ?

L’objectif initial d’une action positive pour la biodiversité risque alors d’être masqué par un message négatif d’exclusivité ou de cloisonnement. La biodiversité ne peut évidemment pas être réduite aux seuls intérêts procurés à l’Homme. Cela serait omettre la multitude des enjeux de conservation sans valeur d’usage. Inversement, une évaluation décontextualisée des enjeux sociétaux locaux peut menacer des équilibres bénéfiques au maintien de la biodiversité dans toutes ses composantes. Par exemple, les haies sont favorables à de nombreuses espèces protégées mais procurent également des services écologiques (voir figure). Si cet habitat est détruit, prendre en compte l’ensemble des pertes dans l’évaluation devrait augmenter la cohérence écologique des mesures compensatoires, tout en élargissant l’assiette ; la nature ordinaire rendant presque toujours des services même quand les enjeux de conservation sont faibles.

Un cadre méthodologique pour l’intégration des services écologiques pourrait mettre à profit certains outils existants. Une partie de l’effort alloué aux inventaires naturalistes pourrait être redirigée vers le développement d’outils de modélisation prédictive, de scénarios, pour explorer la dynamique et la vulnérabilité des espaces pourvoyeurs de services. Une meilleure répartition des financements entre conservation des services écologiques et des espèces menacées pourrait aussi s’avérer utile, ne serait-ce que pour faire rentrer dans le champ de la compensation les 70 000 ha de nature ordinaire artificialisés chaque année. Il serait enfin nécessaire de s’interroger sur l’efficacité d’une approche fondée sur les services écologiques : permettrait-elle cette évaluation globale d’équivalence écologique entre pertes et gains, bénéfique à l’ensemble de la biodiversité et à un rapprochement entre objectifs de développement des territoires et objectifs de conservation ? •