L’Observatoire des papillons des jardins

 
un exemple de science participative
Études - Recherches

Pierre Carret
Muséum national d’histoire naturelle
Noé Conservation
Muséum national d’histoire naturelle
Romain Julliard
Muséum national d’histoire naturelle

Agents pollinisateurs, source de nourriture essentielle pour de nombreux groupes animaux, les papillons jouent un rôle capital dans le fonctionnement des écosystèmes. Ils s’avèrent donc d’excellents indicateurs de la biodiversité ordinaire. Noé Conservation et le Muséum national d’histoire naturelle ont mis en place l’Observatoire des papillons des jardins. Cette opération de science participative répond à toutes les exigences d’une démarche scientifique.

L’objectif de l’Observatoire des papillons des jardins (OPJ) est de réunir puis d’analyser des données sur les papillons communs à l’échelle nationale, afin d’évaluer la qualité de la biodiversité ordinaire et son évolution temporelle – en lien avec les pratiques des jardiniers ou le changement climatique par exemple. La qualité des observations réalisées par des néophytes a forcément des limites. Le premier souci est donc de construire un protocole qui soit le plus répétable possible (afin de s’assurer que les papillons sont comptés et identifiés de la même façon par les participants, malgré leur hétérogénéité) et le plus attractif possible (il faut en effet qu’un grand nombre de participants « compense » la qualité limitée des données collectées).
Standardiser sans rebuter
Imposer aux volontaires un protocole rigoureux (par exemple, compter les papillons un quart d’heure par jour) s’est rapidement avéré impossible. Une telle demande aurait limité le nombre de participants – et donc de données – tout en n’ayant qu’une apparence de rigueur : cela ne gomme pas l’hétérogénéité entre observateurs, ne correspond pas aux pratiques (les apprentis observateurs souhaiteront rapidement compter beaucoup plus souvent) et ne donnerait pas forcément des résultats plus solides, les papillons étant très versatiles au cours de la journée. D’où l’idée de compter les papillons… chaque fois que l’on en a envie ! Le problème des doubles-comptages est ensuite résolu en ne retenant que le maximum d’individus de la même espèce vus simultanément au cours d’un mois donné.
Une liste d’espèces
Beaucoup de papillons communs des jardins sont facilement identifiables, sans ambiguïté (le paon du jour, le vulcain). Nous aurions pu nous limiter à ceux-là. Cependant, certaines espèces parmi les plus fréquentes (les piérides par exemple) ne sont pas faciles à distinguer entre elles. Exclure ces espèces aurait pu frustrer les observateurs qui verraient un grand nombre de papillons « qui ne comptent pas ». Nous avons donc choisi de construire des groupes d’espèces : piéride blanche, azuré bleu, héspérie orangé… À notre grande satisfaction, les participants se sont révélés de bons identificateurs de papillons. La carte de distribution du gazé selon les OPJistes fait bien ressortir que c’est un papillon de moyenne montagne, alors que nous craignions qu’il ne soit confondu avec les piérides. Mieux, la rubrique « autres observations » a été très fréquemment remplie de toutes sortes d’espèces (plus de 5 000 observations souvent en mentionnant les noms latins !).
Traitement des données
« Les données [sont] récoltées par des amateurs mais traitées par des spécialistes », explique Robert Barbault, professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Un premier traitement écarte les données fantaisistes ou trop éloignées de la normale. Par la suite, le nombre important d’observations assure la robustesse des résultats. Sur le long terme, c’est l’évolution des effectifs qui constitue le principal objectif de l’OPJ : quelles espèces augmentent, quelles espèces diminuent. Mais le second objectif est également de comprendre les relations entre pratique des jardiniers et biodiversité. Une description en dix questions permet de connaître les caractéristiques du jardin et de son environnement. Ces informations sont celles qui vont faire l’objet des premières analyses de la base de données de l’OPJ.
Avec 15 600 inscrits dont un tiers de participants réguliers et plus de 80 000 données transmises, l’OPJ a, dès la première année, reçu des résultats dépassant les attentes ! Cette forte mobilisation démontre que les amateurs, au sens le plus large, souhaitent aujourd’hui s’engager dans les processus de création de la connaissance, et qu’ils y ont effectivement leur place. Le public ne souhaite plus être cantonné au rôle de spectateur ou de récipiendaire passif de messages de sensibilisation : il devient acteur de la science. Répondre à cette attente demande une remise en cause de certaines de nos habitudes, mais peut être à l’origine d’une dynamique nouvelle en matière de construction du savoir scientifique et de protection de la nature.