>>> La Tour du Valat (fondation Sansouire)

Quand l’œuvre d’un mécène

 
se tourne vers d’autres mécènes
Le Dossier

Jean Jalbert
Directeur de la station biologique de la Tour du Valat

 

La Tour du Valat fait figure d’Ovni dans le paysage de la recherche et de la conservation de la nature en France. Établie il y a plus de cinquante ans par Luc Hoffmann, naturaliste, scientifique visionnaire et mécène, cette fondation privée est dotée d’une mission d’intérêt général1. C’est à
la fois un centre de recherche, un espace protégé de grande valeur patrimoniale mais aussi un pôle d’expertise et de ressource pour le renforcement des capacités de gestion des espaces naturels en Méditerranée.
w Une nécessité : diversifier les financements. Au départ essentiellement financé par une dotation de Luc Hoffmann, le budget de la Tour du Valat a pu, peu à peu, être abondé par des fonds institutionnels acquis dans le cadre de projets menés au bénéfice des zones humides, en France comme dans le bassin méditerranéen.
Et puis, au début des années 2000, changement de donne. La forte réduction des revenus de la dotation, liée à la crise boursière, exige de repenser totalement l’organisation de la fondation et son plan de financement. Aujourd’hui, la Tour du Valat, c’est une équipe d’une soixantaine de salariés et un budget d’environ 4 millions d’euros dont seulement un peu plus de 20 % proviennent de la dotation initiale. Les partenariats – jusque-là concentrés dans la sphère scientifique et technique – doivent s’élargir. La mission d’intérêt général doit recevoir le soutien de la puissance publique, mais également de la sphère privée. Côté pouvoirs publics, malgré la reconnaissance de l’utilité des travaux pour alimenter les politiques publiques, le support reste timide et… essentiellement moral. Côté privé, en revanche, les choses bougent.
w Une volonté : créer des passerelles entre environnement et monde de l’entreprise. De par son histoire et donc sa culture, la Tour du Valat a toujours été convaincue que, dans un monde dirigé par une économie à la croissance galopante qui fait peser sur la nature une menace sans cesse croissante, une alliance objective s’impose entre la sphère de la protection de l’environnement et celle de l’entreprise. De ce fait, il n’y a pas au sein de la fondation de réel « fossé idéologique », de diabolisation du monde de l’entreprise.
Ce type de position impose en revanche, d’avoir une exigence éthique : ni caution « verte » d’activités préjudiciables au développement durable de la société, ni chevalier blanc pourfendeur des méchants industriels. Notre credo réside dans le bénéfice mutuel de l’interpénétration des cultures, celle de l’entreprise et celle de l’espace protégé. Cela demande des efforts constants de pédagogie en interne. Il est en effet très facile pour nous, gestionnaires d’espaces protégés, de se draper dans la vertu et la noblesse de notre mission et de dénigrer les approches affairistes et polluantes de groupes industriels. Pourtant, tout vertueux que nous sommes, notre quotidien n’est-il pas fait des produits de ces groupes ?
Parallèlement, les entreprises évoluent ; beaucoup ont aujourd’hui un réel engagement citoyen, au-delà d’un simple affichage. Le contexte réglementaire et fiscal encourage le mécénat d’entreprise.
Les temps semblent donc propices à ce que cette communauté d’intérêt s’exprime. À nous de faire en sorte que l’environnement – parent pauvre du mécénat, comparé à la culture ou à la santé – ne fasse plus peur aux mécènes. À nous d’aider les industriels à assumer leur responsabilité environnementale et non plus seulement les fustiger au moindre faux pas.
Dans le cas précis de la fondation, la question prend un tour particulier puisqu’étant déjà l’œuvre d’un mécène, on pouvait craindre que la Tour du Valat ne souffre de ce défaut rédhibitoire aux yeux de mécènes potentiels. Défaut auquel s’ajoute une visibilité très réduite de l’action de la Tour du Valat – et donc de leurs mécènes – vis-à-vis du grand public. L’expérience semble montrer que ce n’est pas un obstacle. Les partenariats se nouent sur la pertinence de l’action au regard des stratégies de chaque partenaire et sur la volonté des hommes ;
le mécénat existant ne s’oppose pas par principe aux nouveaux mécénats.
w Une exigence de professionnalisme. Concrètement, nous avons engagé un partenariat de proximité avec le groupe chimique Lyondell, dont une filiale est établie aux portes de la Camargue à quelques encablures de la Tour du Valat. Soutien au programme de recherche sur les flamants roses, participation des salariés de Lyondell à des activités de gestion des espaces naturels de la Tour du Valat. Un partenariat plus ambitieux est en train de s’élaborer avec la fondation Total, portant sur divers programmes dans des dimensions d’innovation et de transfert. D’autres pistes sont en cours, focalisées sur la connaissance et la conservation d’espèces emblématiques (flamant rose, pélican…) ou sur la synthèse et la publication de données susceptibles d’orienter l’action publique.
Il est trop tôt pour tirer un bilan, pour toucher les limites de ces actions. Mais d’ores et déjà, une chose est sûre : toutes ces démarches de partenariat, qu’elles aboutissent ou non, présentent pour nous le bénéfice d’un regard extérieur qui nous oblige à nous questionner sur la pertinence et l’impact de notre action, et exige de notre part un vrai professionnalisme.

1. La Tour du Valat a pour mission de stopper la perte des zones humides méditerranéennes et de leurs ressources naturelles, les restaurer et promouvoir leur utilisation rationnelle.

Site web : www.tourduvalat.org