La biodiversité s’adapte,

le fonctionnement des écosystèmes est affecté

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Le Dossier

Denis Couvet
Muséum national d’histoire naturelle
Romain Julliard
Muséum national d’histoire naturelle
Frédéric Jiguet
Muséum national d’histoire naturelle

Avec le changement climatique, la répartition et le cycle vital des espèces se modifient, chaque espèce à son rythme. Ces décalages provoquent des bouleversements dans le fonctionnement des chaînes alimentaires.

Face au réchauffement climatique, la biodiversité s’adapte. Néanmoins les réactions sont variables et l’on peut se demander pourquoi et quelles pourraient en être les conséquences ? Tenter de répondre c’est tout d’abord observer qu’il existe des facteurs limitant l’adaptation au réchauffement climatique et, parmi eux, la variabilité génétique1. Ainsi, si durant la dernière décennie les mésanges néerlandaises ont ajusté étroitement leur date de ponte à la température printanière (ce qu’elles ne faisaient pas durant les années 70), il n’en est pas de même pour toutes les espèces. On peut alors prévoir des difficultés d’adaptation chez les espèces menacées. En effet, celles-ci étant à faible effectif, il s’ensuit une faible variabilité génétique. Les petites populations perdent, par hasard, de la variabilité génétique et les mutations sont trop rares dans ces populations pour la restaurer. C’est le cas du pic à face blanche, espèce mondialement menacée. Les femelles les plus consanguines ne parviennent pas à ajuster leur date de ponte aux variations de température, leur fécondité s’en trouve alors affectée. Ces difficultés d’adaptation pourraient se traduire par des extinctions et une réorganisation du fonctionnement des communautés.
Relations prédateurs/proies
Ces écarts du rythme vital des espèces (écarts phénologiques2, voir figure) ont un impact sur le fonctionnement des chaînes alimentaires. Durant les
dernières décennies par exemple, les mésanges ont connu une avancée de phénologie. Leur rythme vital et saisonnier est tantôt plus rapide, tantôt plus lent que celui de leurs proies. Or, ce décalage entraîne un déficit de nourriture qui diminue la survie des oisillons. L’adaptation des arbres à la nouvelle donne environnementale pourrait également modifier le fonctionnement de la chaîne alimentaire. En effet, avec un décalage de trois jours par décennie, ils ont une réponse phénologique généralement plus faible que celle des autres espèces. Ces différences pourraient se révéler problématiques car les espèces au sommet des chaînes trophiques (alimentaires) dépendent de celles dont elles se nourrissent.
On peut également citer l’exemple des insectes parasitoïdes3. Au sommet des chaînes alimentaires, ils contrôlent les ravageurs des cultures, mais leur présence diminue avec la variabilité des précipitations. Une augmentation de cette dernière avec le réchauffement climatique générerait donc un bouleversement de ce contrôle.
Ces déstabilisations des relations trophiques pourraient expliquer que chez les oiseaux en France, chez les papillons au Royaume-Uni, les espèces généralistes sont en augmentation, aux dépens des espèces spécialistes. La plus forte flexibilité des premières dans leurs relations avec les autres espèces leur permettrait plus facilement de se reporter vers des proies plus en phase avec leur nouvelle phénologie.
Vigilance accrue
Par ailleurs, on commence à mesurer les inconvénients d’une décapitation des chaînes alimentaires : émergences de maladies (Lyme), ravages croissants des cultures, surpâturage... C’est pour contrôler les herbivores qui décimaient la végétation du Parc du Yellowstone (ce qui avait un impact négatif sur les castors, car ils dépendent de la partie de la végétation qui souffrait particulièrement), que les gestionnaires de ce Parc ont réintroduit le loup. Il importe donc d’être particulièrement vigilant vis-à-vis des espèces au sommet des chaînes trophiques qui ont un rôle écologique clé, mais devront s’ajuster selon l’adaptation au réchauffement climatique des espèces dont elles dépendent. Leur faible variabilité génétique, due à leurs effectifs réduits, laisse supposer peu de possi-bilité adaptative, à moins que la réponse de gestion compense l’absence de réponse génétique…

1. La capacité d’une espèce à se modifier génétiquement.
2. Phénologie : étude de la répartition dans le temps des phénomènes périodiques caractéristiques du cycle vital des organismes. Voir aussi article p. 11.
3. Parasites d’autres insectes.