>>> Gestion sylvicole

Quels comportements adopter ?

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Le Dossier

Alain Persuy
CRPF Poitou-Charentes
Myriam Legay
INRA Nancy
Nathalie Bréda
INRA Nancy
Jean-Luc Dupouey
INRA Nancy

Les questions du forestier

Une très récente étude montre comment le paysage sylvicole devrait être rapidement bouleversé1. Or, ces travaux de modélisation réalisés par les équipes de l’Inra questionnent le gestionnaire à plus d’un titre. Tout d’abord, faut-il planter ? L’augmentation des surfaces de boisement peut-elle être une réponse efficace au chan-gement climatique et si oui, à quelles conditions2 ? Mais alors, quelles espèces sélectionner ? En effet, le travail des chercheurs laisse apparaître que certaines espèces sont menacées. Ce serait le cas du chêne pédonculé et du hêtre en Poitou-Charentes et, dans une moindre mesure, du pin maritime dans le Sud-Ouest. Par quelles essences faut-il les remplacer ou les seconder sachant que le propriétaire cherche à utiliser des essences économiquement rentables et utilisables par l’industrie ? Ne doit-on pas inciter les industriels à travailler sur des essences jusqu’alors négligées, comme le chêne vert, et ce malgré sa lenteur de pousse ? Cette essence, comme d’autres dites « non productives », améliore souvent le sol, crée des ambiances forestières protectrices et active l’accueil d’une faune auxiliaire pouvant lutter contre les ravageurs favorisés par le réchauffement. Ne devrait-on pas envisager de les subventionner ?
Se pose aussi la question de la place des espèces exotiques. Devra-t-on les choisir ? Si oui, on peut imaginer que pour pallier les incidences de cette plantation sur la biodiversité, il sera envisageable de mélanger ces essences à des feuillus, mais quid des paysages ?
On ne peut, non plus, occulter la question du stress hydrique induit par le changement climatique. Comment alors diminuer la concurrence pour l’eau ? Faut-il, comme certains le préconisent, supprimer tout ou partie du sous-étage ? Ce parti pris étonne le forestier qui y voit une erreur fondamentale à la fois sur le plan de la biodiversité et sur celui de la foresterie. Le forestier aurait tendance à affirmer qu’il faut s’engager dans une diversification maximale des peuplements, à tous les étages de végétation. A-t-il raison ? Faut-il sortir des monocultures et notamment mélanger systématiquement les essences, planter ou régénérer un nombre maximal d’essences différentes ? Faut-il varier les modes de traitement ?
Et, plus généralement, ne faut-il pas partir du principe que la station doit commander et non les débouchés escomptés à cent ans de là, avec les aléas que cela suppose ? Autant de convictions et de questions qui ouvrent le dialogue. Qu’en pense le scientifique ?

Les réponses du scientifique

Les recherches sur l’impact du changement climatique, dont les conclusions sont très alarmantes, sont encore récentes. Elles sont amenées à évoluer et s’affiner. Aussi faut-il se garder de toute réaction prématurée ou excessive : il n’est pas encore question d’entreprendre une transformation systématique des peuplements au profit d’espèces adaptées au climat modélisé à l’horizon 2100. En revanche, une prise de conscience active est à l’ordre du jour et c’est le moment de faire le point sur les recommandations des écologues et leur suivi effectif.
Anticiper la reconstitution
Tous nos territoires forestiers sont-ils couverts par un catalogue de station ? Ces catalogues sont-ils utilisés ? Sont-ils cohérents entre eux ? Sommes-nous capables de quantifier et cartographier à l’échelle régionale les contraintes écologiques (en particulier hydriques) auxquelles sont soumis nos peuplements ? Seule une telle connaissance nous permettra de traduire en préconisations techniques les acquis scientifiques.
Les essences en place sont-elles toutes adaptées aux conditions actuelles du sol et du climat. L’exemple du chêne pédonculé que vous citez est très intéressant à cet égard. De nombreux peuplements de cette espèce se trouvent dans des stations éloignées de son optimum écologique. Avec des étés plus chauds et plus secs, mais aussi des risques accrus d’excès d’eau temporaire dans les sols en hiver, ces peuplements fragiles pourraient souffrir très rapidement.
Par ailleurs, il faut se tenir prêt à d’éventuels dépérissements. Il convient de prévoir un panel d’essences de reboisement adapté à la variété des conditions liées à la nature des sols et sous-sols régionaux, sous un climat plus chaud et plus sec en saison de végétation. À cette fin, les anciens essais de comparaison d’espèces et les arboretums méritent d’être revisités. Reprenons la réflexion sur les essences exotiques, car certaines pourraient se révéler bien utiles dans cette perspective ! On pourrait imaginer que ces espèces de reboisement, autochtones ou exotiques, soient introduites progressivement, en mélange, pour éviter des transformations arbitraires et traumatisantes. La recherche de mélanges compatibles et la mise au point de sylvicultures adaptées peuvent être entreprises dès maintenant.
Améliorer la résistance
à la sécheresse
Vous évoquez la question de la gestion sylvicole des peuplements pour améliorer leur résistance à la sécheresse. Une surdensité des peuplements augmente l’impact des sécheresses et le risque de mortalité. Cette surmortalité n’est qu’un rétablissement naturel de l’équilibre entre la demande en eau du peuplement et les ressources offertes par le climat local et la station. Le forestier a tout intérêt à rétablir lui-même cet équilibre, en intervenant suffisamment et régulièrement sur l’étage principal et en contrôlant le sous-étage pour limiter sa concurrence avec l’étage dominant. Adapter la surface foliaire du peuplement pour réduire le niveau de contrainte hydrique devient un impératif. Mais éliminer systématiquement l’ensemble du sous-étage serait une erreur écologique, culturale et paysagère.
D’une façon générale, la diversité du peuplement joue en faveur de sa capacité à résister à certaines atteintes (pullulations de ravageurs, gel tardif), ou encore à se restaurer après un dommage (résistance de certaines espèces d’arbres d’où maintien d’une ambiance forestière). Cependant, la biodiversité fonctionnelle ne se résume pas au nombre d’espèces d’arbres à l’hectare. La diversité des individus au sein d’une même espèce est tout aussi importante dans un contexte de changement des conditions écologiques, car c’est elle qui permettra aux espèces de s’adapter aux changements climatiques… dans une certaine mesure, que nous ne connaissons pas encore, mais qui ne doit pas être négligée.
Finalement, le changement climatique offre une opportunité de réactiver le dialogue entre praticiens et chercheurs, afin d’éviter les discours trop simplificateurs et les actions inconsidérées, de nourrir les réflexions de chacun et de se préparer au mieux aux divers scénarios du futur.

1. L’étude projette l’évolution des essences selon le climat, d’ici à 2050 et 2100. On note que les essences aquitaines passent d’une occupation de 17 % du territoire à 46 % ; les essences méditerranéennes
de 9 à 28 %.
En revanche, les essences montagnardes régressent de 16 à 6 % ; les essences océaniques et continentales de 58 % à 20 %. Étude de l’Inra - Badeau et Dupouey, centre de Nancy 2004.
2. Il est cependant illusoire de penser que la forêt puisse stabiliser le taux de CO2 dans l’atmosphère. Pour cela, il faudrait planter près d’un milliard et demi d’hectares de forêts, au plan mondial (Jancovici, mission interministérielle pour l’étude de l’effet de serre).