La sylviculture doit prendre les devants

 
Le Dossier

Myriam Legay
Office national des forêts

En matière forestière comme dans d’autres, les évolutions à venir de la répartition des espèces sont encore incertaines. Les gestionnaires de forêts doivent dès maintenant faire preuve d’innovation.

Nous devons nous préparer à un réchauffement de +1,5 à +4,5°C au cours du XXIe siècle, selon l’évolution des émissions de gaz à effet de serre. Ce réchauffement devrait s’accompagner en Europe d’une modifi cation du régime des précipitations, augmentées au Nord et diminuées vers le Sud. à la charnière de ces deux zones, l’évolution du climat de la France est marquée par une forte incertitude sur l’évolution du défi cit hydrique estival, paramètre déterminant pour la forêt.

Une Forêt très liée au climat

La composition des forêts européennes résulte de la reconquête du terrain par les grands ligneux à partir de la fin de la dernière glaciation depuis les refuges du Sud de l’Europe (Espagne, Italie, Balkans…), sous l’infl uence d’une action humaine d’abord discrète, puis déterminante à partir de la fi n du XVIIIe. Ecosystème modifié par l’homme (cloisonné en petits massifs, géré à diverses fins), les forêts sont gérées cependant de façon beaucoup plus extensive que les territoires agricoles. En France, le « matériel végétal » y est ainsi très majoritairement d’origine sauvage, régénéré par ensemencement naturel. Les faciès de cette forêt suivent de façon étroite les types de climats, comme chacun peut le constater en traversant le pays.
Végétaux pérennes, les arbres ajustent leur fonctionnement à la très forte variabilité inter-annuelle du climat. En particulier le calendrier phénologique (développement et sénescence des feuilles, floraison, fructifi cation), ainsi que la formation du bois, sont étroitement modulés par le climat de l’année et suivent donc son évolution. Le réchauffement a ainsi contribué certainement aux considérables augmentations de la productivité biologique (1) des arbres observées en Europe depuis les années 80, même s’il n’en est qu’un des facteurs.

Fortes modifications attendues, mais fortes incertitudes

La mise en relation statistique de la répartition actuelle d’une espèce avec les paramètres du climat permet de dessiner sa répartition future en fonction des scenarii d’évolution climatique. C’est l’une des façons de modéliser les impacts potentiels du changement climatique, déjà appliquée à diverses espèces forestières à l’échelle de la France ou de l’Europe. Les résultats sur la France frappent par l’ampleur des impacts projetés (voir figure p. 26). D’autres méthodes plus analytiques modélisent l’évolution du fonctionnement physiologique de l’arbre (bilan d’énergie, de carbone, d’eau…), et simulent généralement des modifications de moindre ampleur, notamment pour les feuillus pour lesquels l’augmentation du CO2 peut atténuer l’effet du stress hydrique.

Les impacts, ainsi simulés pour un nombre réduit d’espèces, sont néanmoins très significatifs (2) et rejoignentparfois ceux de l’approche statistique. Si beaucoup de travaux portent sur les arbres, qui forment la structure même des écosystèmes forestiers, ces tendances concernent bien évidemment l’ensemble des espèces végétales. C’est ainsi l’ensemble de la biodiversité forestière qui est concernée.

Ces simulations de l’évolution des aires de répartition ne nous informent cependant pas sur le déroulement de ces « migrations d’espèces » , qui se produiront par déclin sur les franges sèches, et par colonisation sur les fronts froids. On soupçonne des phénomènes de seuils, à partir desquels telle espèce « décrochera », mais ces seuils restent très difficiles à appréhender.

Les capacités d’adaptation spontanée de la forêt (acclimatation, migration, adaptation génétique) seront vraisemblablement dépassées par la rapidité des changements climatiques attendus (voir p. 26-27). On ne peut donc compter sur ces seuls mécanismes, sauf à accepter de longues phases de régression de la forêt, accompagnées par la privation de tous les services qu’elle rend, à commencer par le relargage dans l’atmosphère des importants stocks de carbone qu’elle recèle.

Accompagner l’adaptation des forêts

Il nous faut donc agir pour accompagner l’adaptation des forêts, en fondant cette action sur les travaux de la recherche et l’observation. Lorsqu’un peuplement forestier est renouvelé, le choix de l’essence (le plus souvent reconduite par régénération naturelle) engage l’avenir pour plusieurs décennies, jusqu’à deux siècles ! Ce choix ne peut plus se faire sans prendre en compte les modifications potentielles du climat. Les forestiers ont déjà amorcé des évolutions dans la composition des peuplements récemment renouvelés : diminution des surfaces de hêtraies au profit du chêne dans le Nord de la France, remontée en altitude de l’épicéa dans les massifs, au profit du sapin ou du hêtre… Ces évolutions restent limitées : les incertitudes sont déconcertantes, les moyens de simulations des effets du climat encore peu accessibles, et la surface plantée annuellement – en recul depuis trente ans- est très limitée. Il faut poursuivre, en développant les moyens de simulation, et en diversifiant les options pour faire face aux incertitudes. Pour ne pas se reposer sur les seules simulations théoriques, il faut dès maintenant tester les espèces ou les provenances dans des zones nouvelles, en s’ouvrant l’esprit à la réalité des changements en cours.

Sans attendre, la sylviculture doit s’adapter

Les prélèvements doivent être ajustés à l’évolution de la productivité, en hausse forte sur les dernières décennies dans la plupart des situations (tendance susceptible d’être contrecarrée à terme par l’assèchement du climat). L’action du sylviculteur peut aussi modérer la consommation d’eau du peuplement par un abaissement raisonné de sa densité. Le mélange des espèces, enfin (49 % des forêts françaises sont mélangées) permet de tamponner les effets des accidents climatiques sur la productivité, ou sur le maintien du couvert.

Enfin, l’adaptation questionne aussi les institutions et les structures économiques, comme l’ont montré les derniers grands accidents climatiques (Lothar et Martin, sécheresse 2003, Klaus). Il faut se préparer à gérer des crises de grande ampleur, plus fréquentes, voire franchement nouvelles, comme l’illustrent les ravages exceptionnels du « montain pine beettle » dans le Nord-ouest américain. En matière forestière comme dans tous les domaines, l’adaptation au changement climatique commence par la prise de conscience des enjeux et l’ouverture au changement..

(1) Boisvenue C. , Running S. W. Global Change Biology 2006, 12, 862-882.
(2) Référence p. 29