Défense côtière et réserve naturelle : gérer le paradoxe
Espaces naturels n°46 - avril 2014
Emmanuel Joyeux
conservateur RNN de la Baie de l’Aiguillon
La question du positionnement des espaces protégés par rapport aux changements climatiques est délicate puisque le gestionnaire se doit d’intégrer les modifi cations probables à long terme du climat (hausse du niveau de la mer, développement des tempêtes…) et être présent au côté des acteurs locaux pour la mise en place de la politique de défense contre les inondations. Le gestionnaire (ONCFS-LPO) de la Réserve nationale de la baie de l’Aiguillon a été très rapidement confronté à cette réalité.
La tempête Xynthia, par les dégâts humains et économiques générés sur le littoral atlantique, a déclenché une politique publique de défense contre les inondations (Programmes d’actions et de préventions des inondations, Plan submersions rapides). La baie de l’Aiguillon est une vaste surface de vasières et de prés salés accueillant de nombreux oiseaux d’eau migrateurs et hivernants située à l’aval du Marais poitevin. Elle est bordée de digues dont un linéaire important est intégré dans le périmètre de la réserve. Suite aux événements catastrophiques de Xynthia, la reconstruction des digues s’avérait nécessaire pour protéger les habitations et intérêts économiques, avec différentes questions très pratiques :
- où prendre les matériaux (traditionnellement, dans ces zones poldérisées, la terre était prélevée soit dans la partie maritime, soit sur les prés salés de la réserve naturelle) ?
- comment et où reconstruire les digues ?
- que (qui ?) doit-on protéger ?
- quelle est la place du gestionnaire dans ce dispositif ?
DE L’URGENCE…
La diffi culté pour le gestionnaire est donc de se fondre dans les politiques mises en oeuvre pour limiter les impacts de la construction des ouvrages sur le patrimoine naturel, tout en anticipant les politiques publiques à venir. Il est toujours bon de rappeler qu’au lendemain de tels événements, la prise en compte des intérêts de conservation de la nature paraît dérisoire…
Il convient de reconnaître également que les maîtres d’ouvrage ont rapidement intégré dans les travaux d’urgence la nécessité d’une conception différente des ouvrages de défense en modifi ant notamment le profi l des digues (digue plus large) et les matériaux de construction (digue en argile non salé issue des terres agricoles périphériques). Les matériaux issus du pré salé (bri à scrobiculaire) n’ont été utilisés que pour des travaux d’extrême urgence en Vendée et en l’absence de solutions alternatives ; en Charente-Maritime, le prélèvement était déjà envisagé avant la tempête. Environ une dizaine d’hectares de prés salés a donc été utilisée (sur 1000 ha). Le gestionnaire a été associé à cette mise en oeuvre en édictant un cahier des charges adapté (profondeur, type de végétation). Seules les zones de chiendent marin ont été utilisées, en limitant la profondeur de prélèvement des matériaux pour espérer une résilience rapide du pré salé.
… À LA GESTION QUOTIDIENNE
L’urgence ayant été traitée, une coopération s’imposait entre le gestionnaire de la RNN et les propriétaires des digues et zones ayant servi à la construction (syndicat mixte Vendée Sèvre Autize, Association syndicale de la vallée du Lay, Conservatoire du littoral…). Elle s’articule autour de deux axes : la gestion des digues avec la profession agricole par pâturage ovin et suivis de l’évolution de la végétation.
Des modalités de gestion (ou de non gestion) des zones périphériques à même de satisfaire des impératifs de conservation de la nature. Cela passe par la création de zones de friches (pour recréer des milieux de substitution de nidifi cation présents sur les digues pour la fauvette grisette, la gorgebleue ; le choix ayant été fait pour des questions de sécurité publique de maintenir les digues en graminées), d’îlots de nidification pour les oiseaux d’eau dans les zones en eau (une cinquantaine d’hectares). Finalement, ces travaux ont permis de créer de manière fortuite des zones complémentaires aux milieux de la baie et de travailler sur les notions de corridors écologiques le long des cours d’eau. Au final, le pourtour immédiat de baie s’avère a priori plus riche qu’avant la tempête tout en ayant un impact très limité sur la réserve.
FAIRE EVOLUER LES ACTEURS
Cette gestion quotidienne qui a plutôt renforcé l’attractivité de la baie de l’Aiguillon pour de nombreuses espèces, ne doit pas masquer les questionnements légitimes sur le positionnement des dispositifs de défense contre la mer. Les « Progammes d’actions et de prévention des inondations » (PAPI) menés autour de la baie (sur les communes de Lay, Sèvre-Autize, Curé) devraient intégrere une réflexion et les actions autour de cette problématique, notamment pour ce qui concerne des questions parfois dures à entendre et à accepter dans un environnement rural qui s’est construit sur la mer : quelles terres peuvent accepter une submersion de temps en temps ? doit-on reculer le système de défense ? doit-on dépoldériser et où ? les ouvrages de gestion hydraulique sont-ils judicieusement disposés ? quel est l’impact de la sédimentation à long terme sur la protection ? quels impacts d’un éventuel rehaussement de digues dans le dispositif ? Ces questions sont complexes et touchent réellement les politiques de projets de territoire de tout un pan du Marais Poitevin. La présence du gestionnaire dans cette mise en oeuvre (qui n’a pas encore abouti) montre la volonté de la part des porteurs de projet d’associer la dimension de la protection de la nature dans cette réflexion globale. Le réel bilan environnement se fera à l’aune des options retenues.