Comment préparer sa gestion aux changements environnementaux ?
Espaces naturels n°46 - avril 2014
Bruno Fady
membre de la Commission des ressources génétiques forestières (CRGF1), Inra Avignon
François Lefèvre
Inra Avignon, Président de la CRGF1
Eric Collin
Irstea Nogent/Vernisson, Secrétaire de la CRGF1
Michel Boutaud
CEN Poitou-Charentes, membre de l’AFAC-Agroforesteries
Une des options pour permettre aux espèces animales et végétales de s’adapter aux changements futurs est la colonisation « assistée ». Beaucoup discutée, cette option est envisagée ici, avec ses avantages et ses inconvénients, avec l’exemple des arbres forestiers.
Divers modèles intégrant plusieurs scénarii climatiques ont été utilisés pour simuler la répartition des espèces d’arbres forestiers aux horizons 2050 et 2100.Les cartes issues de ces modèles ont surpris les gestionnaires forestiers par l’ampleur des déplacements d’aires prédits (voir ci-dessus). Ces modèles n’intègrent cependant pas tous les mécanismes de réponse des espèces concernées, en particulier les interactions biotiques et les processus adaptifs. Acclimatation, adaptation et migration sont les trois principaux schémas de réponse naturelle de la biodiversité aux changements environnementaux (cf. p. 24). Même chez les espèces à long cycle de vie, comme les arbres, ces trois mécanismes ont permis la formation de populations adaptées à leur milieu local. Chez les arbres, on observe expérimentalement une très grande diversité génétique pour de nombreux caractères adaptatifs (croissance, date de débourrement, résistance à des maladies, …). Sous l’effet d’une forte sélection naturelle et si les tailles de populations ne deviennent pas trop petites, cette diversité génétique peut permettre une réponse évolutive rapide.
Les processus naturels d’adaptation ne seront pas suffisants
Mais face à des changements environnementaux rapides, le processus d’adaptation locale est parfois insuffisant pour maintenir les populations actuelles en place. Les effets de la canicule de 2003 sont encore visibles dans de nombreux massifs forestiers français, comme par exemple au mont Ventoux où le sapin (Abies alba Mill.) dépérit dans bon nombre de zones malgré son caractère autochtone. Un travail de grande ampleur, effectué dans des plantations comparatives de pin sylvestre en 2002 par le chercheur américain G. Rehfeldt et ses collègues, a montré que les populations les plus méridionales occupent des habitats situés à plus de 1 000 km de leur optimum climatique de 2090. S’il n’y avait ni acclimatation ni évolution génétique, il leur faudrait alors plus de 2000 ans pour atteindre leur optimum climatique de 2090.
Les processus naturels d’adaptation ne seront sans doute pas suffisants pour permettre aux forêts de survivre partout en l’état. On peut penser qu’il vaut peut-être mieux laisser faire la nature. Cependant, les gestionnaires d’espaces naturels peuvent aussi agir favorablement sur ces processus pour atténuer les effets des changements climatiques. En jouant sur la répartition des espèces et des individus, ils peuvent contribuer à accroître la diversité génétique des peuplements forestiers au fil des générations. Sans verser dans la croyance illusoire en des matériels providentiels, ils peuvent enrichir le cortège des ressources locales en ayant recours à la « migration assistée » de provenances ou d’espèces adaptées à des climats futurs dont la migration naturelle sera trop lente ou compromise par la fragmentation des habitats qui ralentit le processus de migration. En choisissant d’intervenir, les gestionnaires d’espaces naturels devront alors veiller à maintenir la diversité génétique et la traçabilité des graines et plants utilisés (voir ci-contre) et contenir les risques d’invasion. Ils ont en outre une responsabilité particulièrement grande pour la conservation dynamique et durable des ressources génétiques locales, notamment celles présentes dans les marges écologiques et géographiques des aires des espèces. Avec l’appui des généticiens, ils doivent leur accorder une attention particulière et des méthodes de conservation appropriées. Plus généralement, les collaborations avec les scientifiques doivent être développées pour le suivi d’espaces dédiés à l’observation ou à l’expérimentation, et alimenter le processus de renforcement mutuel des connaissances.Nous sommes convaincus que les gestionnaires d’espaces naturels ont entre leurs mains les clefs d’une gestion véritablement « adaptative » dans tous les sens du terme. La Commission des ressources génétiques forestières peut leur apporter des conseils méthodologiques pour la conservation et l’utilisation durables de la diversité génétique des arbres forestiers, indispensable pour l’adaptation aux changements du futur.