La forêt face au changement climatique,

acquis et incertitudes

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Le Dossier

Sandrine Landeau
Ecofor

 

La vitesse des changements annoncés interpelle fortement la communauté forestière : comment les forêts vont-elles faire face à un changement de leur environnement plus rapide que le rythme de renouvellement des arbres ? Comment les nouveaux équilibres vont-ils s’établir ?

Les mutations sont déjà engagées. Ces dernières années, des travaux ont révélé des changements parfois importants dans les écosystèmes forestiers. La productivité en volume des arbres s’est accrue très significativement au cours du siècle dernier. L’aire de distribution de certaines plantes s’est également modifiée : on note, par exemple, une extension vers le nord et l’est des lauriphylles1. Par ailleurs, certaines espèces d’arbres en limite d’aire ou sur station peu adaptée montrent des fléchissements de croissance, voire des dépérissements (pin sylvestre en région méditerranéenne). Certains ravageurs et pathogènes ont vu leur aire de distribution s’étendre. Ainsi, dans le bassin parisien, la chenille processionnaire du pin a progressé de près de soixante kilomètres vers le nord en dix ans.
Si des facteurs non climatiques interviennent dans ces évolutions, ce qui rend leur interprétation difficile, toutes s’expliquent en partie par une réaction aux changements climatiques enregistrés depuis le début du 20e siècle : augmentation de la concentration en CO2, allongement de la période de végétation, réchauffement hivernal, diminution des périodes de gel, sécheresses extrêmes des dernières années.
Prévoir des changements de grande ampleur
La réponse aux changements climatiques à venir est appréhendée en combinant observations, analyses statistiques et modèles2. L’évolution et la répartition de ces changements dépendront de l’importance relative des effets de l’augmentation du CO2 atmos-phérique, du réchauffement et des épisodes de stress hydrique, ainsi que des interactions entre climat, sol et gestion sylvicole. Les grandes tendances des changements à venir peuvent s’esquisser ainsi :
les aires potentielles de répartition des espèces atlantiques et méditerranéennes vont s’étendre fortement vers le nord et l’est, tandis que celles
des espèces montagnardes et continentales régresseront (voir figure p. 14). Attention : il ne s’agit pas d’une prédiction de ce que seront les aires réelles de distribution des espèces en 2100 – celles-ci dépendront en particulier des vitesses de migration des espèces et des actions humaines – mais d’une projection des aires qui leur seront climatiquement favorables ;
la productivité des forêts de l’est devrait, sauf accident majeur, continuer à augmenter, tandis que celle des forêts de l’ouest et du sud ralentirait fortement, voire diminuerait, dès le milieu du siècle ;
des modifications des équilibres entre ravageurs, pathogènes et arbres hôtes sont également attendues. Il est difficile de prédire le résultat d’interactions complexes (tolérance, synchronisation, etc.), mais les aires de distribution de nombreux insectes et champignons devraient s’étendre vers le nord et en altitude, les mettant en contact avec de nouveaux hôtes.
Des interrogations qui subsistent
Face aux inquiétudes et interrogations nombreuses que soulèvent ces résultats, on s’interroge sur les capacités d’adaptation des essences forestières. Malgré le peu de données expérimentales disponibles, un faisceau d’indices (suivi de réponses à des transferts naturels ou artificiels, différenciation génétique des populations des tests de provenance, simulations théoriques) laisse espérer que ces capacités soient plus importantes qu’on ne l’imagine. Ces indices sont fournis par le suivi de réponses à des transferts naturels ou artificiels, mais aussi par la différenciation génétique des populations suivies dans les tests de provenance, ou encore par des simulations théoriques.
Pour lever un certain nombre d’incertitudes qui subsistent, plusieurs pistes sont ouvertes. Il s’agit de compléter les travaux sur l’écophysiologie3, mais également sur le rôle de la biodiversité, sur l’influence des structures paysagères pour la migration des espèces, l’impact à moyen et long termes des événements extrêmes, l’impact des mesures d’aménagement du territoire et de gestion sylvicole, mettre en regard les résultats des différentes disciplines et approches. Pour cela, deux types d’outils s’imposent : les modèles et l’observation continue des écosystèmes.

1. Arbres ou arbustes à feuilles toujours vertes à limbes larges (telles les feuilles de laurier).

2. Notamment dans le récent projet Carbofor, piloté par l’Inra avec la participation de laboratoires de Météo France, du CEA, du CNRS, de l’IFN, des universités d’Orsay et d’Orléans, du Cirad et de l’Engref. Les travaux conduits dans le cadre de Carbofor se basent sur le modèle climatique Arpège B2 de Météo France. Ce projet était soutenu par les ministères chargés de l’Écologie et de l’Agriculture dans le cadre du programme « Gestion et impact du changement climatique ».

3. Écophysiologie : discipline scientifique qui cherche à comprendre comment les êtres vivants font face aux contraintes de leur milieu.

4. Les groupes chorologiques sont des groupes d’espèces dont la répartition géographique
est similaire et obéit aux mêmes types de déterminisme. La chorologie est l’étude de la répartition géographique des espèces et de son déterminisme.

5. Lignicole : se dit d’une plante ou d’un champignon qui pousse sur le bois.