Stratégie de gestion adaptative

S’appuyer sur des incertitudes

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Le Dossier

Michel Étienne
Inra Avignon

 

On parle beaucoup de stratégie de gestion adaptative. De quoi s’agit-il exactement ? En quoi peut-elle être utile au gestionnaire ?

Face au changement climatique, la stratégie de gestion adaptative vise à apporter des réponses correctives à la gestion des écosystèmes. Cela peut sembler simple, clair, évident… Mais la stratégie de gestion adaptative a ceci de particulier qu’elle repose sur le partage des savoirs. Démarche dialectique, elle est créatrice de nouvelles connaissances. Plus important encore, elle développe auprès des gestionnaires leur aptitude à reconnaître les cibles d’intervention et à construire un répertoire d’options leur permettant d'anticiper les changements à venir et de modifier en conséquence la façon de gérer leurs ressources. La notion de stratégie adaptative repose donc autant sur la recherche de solutions que sur le processus humain d’auto-formation.
Sur le Causse Méjan en Lozère, par exemple, la biodiversité est liée au maintien des espaces ouverts et donc, en grande partie, au maintien des activités pastorales. Or, celles-ci dépendent de la productivité des surfaces cultivées (qui permettent de nourrir les brebis en hiver) et du marché du lait de brebis ou de la viande d’agneau. Deux politiques publiques mises en œuvres presque simultanément (les reboisements du Fonds forestier national, la création du Parc national des Cévennes dans les années 70) posent aujourd’hui le choix d’une stratégie adaptative. Faut-il préférer réduire la précarité du système en contrecarrant l’extension naturelle des pins : encourager le pâturage sur les zones sensibles, intervenir sur les semenciers stratégiquement placés, soutenir la filière ovine ? Faut-il basculer vers un écosystème forestier et anticiper les pratiques garantissant une utilisation durable de la forêt et une transition acceptable entre activités pastorales et activités forestières ? Le choix entre ces deux options doit intégrer un facteur décisif : le changement climatique.
Aide à la décision
L’intégration de ce facteur dans la mise en œuvre de la stratégie adaptative intervient à plusieurs niveaux. D’abord, les gestionnaires doivent identifier les incertitudes sur les modalités du changement climatique au cours des trente prochaines années puis émettre des hypothèses sur son effet probable. Cette phase de la stratégie adaptative va combiner des moments de médiation avec les acteurs du territoire (pour résoudre les conflits), des moments de concertation (pour faciliter l’apprentissage) et des approches participatives.
Dans un deuxième temps, ces acteurs vont analyser comment le changement climatique risque de modifier les trois caractéristiques déterminant la dynamique de leur système socio-écologique à savoir, la résilience, l’adaptabilité et la transformabilité. La résilience1 mesure la capacité d’un écosystème à amortir une perturbation et à se réorganiser en conservant les mêmes fonctions, structure et capacité de rétroaction. L’adaptabilité traduit la capacité des agents d’un système à gérer cette résilience. La transformabilité rend compte de leur capacité à créer un nouveau système, quand les conditions du système antérieur sont devenues sociologiquement, économiquement ou écologiquement intenables.
Enfin, les acteurs définissent des options stratégiques pour des échelles de temps et d’espace raisonnables par rapport à leurs projets et aux projections réalistes de changement du climat. Ils s’appuient alors sur la modélisation informatique comme moyen d’apprentissage partagé des interactions entre dynamiques écologiques et dynamiques sociales… et comme outil d’élaboration et de comparaison de scénarios prospectifs. De ce fait, la stratégie adaptative devient outil d’aide à la décision.
Asseoir des choix
Pour s’adapter au changement climatique, les acteurs du Causse Méjan ont deux options : contrôler la trajectoire du système en le maintenant le plus éloigné possible des seuils de basculement (éviter la précarité), ou accroître sa stabilité (augmenter sa résistance). Pour cela, ils devront : être capables d’anticiper les effets du changement climatique sur la dynamique de leurs ressources et avoir conscience de l’incertitude inhérente à la prévision de ce changement (apprendre à vivre avec le changement et l’incertitude), maintenir une mosaïque d’habitats (favoriser la diversité comme garant de résilience), échanger leurs expériences sur les effets du réchauffement (combiner différents types de connaissance pour un apprentissage partagé), imaginer ensemble des techniques alter-natives comme le sylvopastoralisme pour réduire la sensibilité de leurs ressources à la sécheresse (rendre possible l’auto-organisation des agents pour la mise en œuvre d’un développement durable).

1. Pour maintenir la résilience d’un système, on peut :
• s’éloigner d’un des seuils de basculement de l’écosystème,
• modifier les valeurs de ce seuil vers des niveaux éloignés du niveau actuel,
• rendre le seuil plus difficile à atteindre,
• jouer sur les interactions entre niveaux d’organisation afin d’atténuer les pertes de résilience à des niveaux supérieurs.