>>> Risque sanitaire

Lier conservation et santé publique

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Le Dossier

Patrick Giraudoux
Professeur d’écologie Biologie environnementale usc Inra Université de Franche-Comté

 

Peut-on dissocier santé publique, réchauffement climatique et conservation ? Non. D’abord parce que les espèces vont s’adapter mais aussi parce que la modification du climat modifiera les activités humaines qui modifieront les aires de répartition des espèces… Tout est dans tout…

Le réchauffement climatique va induire des conséquences en termes de santé publique. Pour contrôler les risques infectieux, il est bien sûr nécessaire de connaître les variations d’aires de distribution des espèces vectrices de maladies et des stades libres des agents infectieux. Ainsi, par exemple, le moustique Aedes albopictus, originaire d’Asie tropicale, s’est répandu depuis 1990 en Italie. Il a été signalé pour la première fois en France en 1999 dans la région parisienne et il ne se serait installé entre Nice et Menton qu’en 2005. Vecteur potentiel des virus de la dengue, c’est également celui du chikungunya. Un autre moustique, Culicoïdes imicola, a été capturé pour la première fois en Corse en 2000, puis dans les Alpes maritimes en 2003. Originaire du sud de la Méditerranée, il peut être vecteur du virus de la fièvre catarrhale ovine, une maladie le plus souvent fatale pour le mouton. Son impact potentiel sur les ruminants sauvages européens est inconnu.
Variation démographique
Mais l’effet du réchauffement climatique sur la transmission d’agents infectieux ne passe pas forcément par l’extension de l’aire de distribution des espèces vectrices. Il faut également tenir compte de leurs variations démographiques dans les aires actuelles. Ces variations peuvent d’ailleurs être liées à d’autres causes que le réchauffement. On évoque ainsi, souvent, le risque de ré-émergence de la malaria, transmise par les moustiques du genre anophèles, largement répandus en Europe. Bien avant que l’on parle de réchauffement climatique, le protozoaire agent du paludisme était transmis jusqu’en Scandinavie. Sa disparition en zone tempérée tient aux actions publiques de contrôle (dont certaines ont été désastreuses en termes de conservation biologique : drainage des marais, utilisation d’insecticides dangereux et non sélectifs).
Cependant, le réchauffement climatique aura un impact direct sur certaines espèces hôtes : le raccourcissement de la saison froide permettant la reproduction de générations supplémentaires, avec un effet exponentiel sur la densité de leurs populations. Inversement, l’augmentation des températures risque de réduire l’aire de répartition de certains agents infectieux : de ce point de vue, la transmission de l’échinocoque alvéolaire1 est illustrative. En effet, au stade d’œuf (seul stade de développement libre), ce parasite du foie létal pour l’homme est très sensible à la chaleur modérée et à la déshydratation. Son aire de distribution déjà limitée au sud, devrait se réduire encore vers le nord du fait du réchauffement.
Effet ricochet
Mais la dynamique des populations hôtes est également liée indirectement aux pratiques agro-pastorales. Or, avec la modification de la ressource globale en eau et du régime nival en montagne, ces pratiques vont évoluer avec un effet ricochet possible sur les populations d’hôtes. Celui-ci peut s’illustrer par les modifications intervenues en France depuis les années 70. En moyenne montagne, le contexte économique a conduit les agriculteurs à développer les zones de prairies et à réduire les haies, ce qui, localement, a déclenché des cycles de pullulation de rongeurs de prairies. Un phénomène comparable est observé sur le plateau tibétain où jadis les populations de yaks étaient régulièrement décimées lors d’épisodes neigeux extrêmes. Une nouvelle gestion des prairies et l’augmentation consécutive du cheptel ont conduit à un surpâturage avec pour conséquence la pullulation du pika des plateaux2 et de campagnols, hôtes de l’échinocoque alvéolaire.
Ces deux cas, à une échelle globale, montrent comment des modifications consécutives de pratiques agro-pastorales ont conduit à l’intensification du cycle parasitaire. L’évolution de l’activité humaine induite par le changement climatique est aussi au cœur de la problématique des changements sanitaires…

1. Parasite responsable de l’échinococcose, maladie grave se développant lentement dans le foie.

2. Petit mammifère herbivore de la même famille que les lièvres et lapins (taille 8-25 cm). Voir photo page précédente.