>>> Parc naturel régional du Morvan

Concertation et gestion des désaccords

 
à la source des conflits, le reboisement résineux

Espaces naturels n°7 - juillet 2004

Le Dossier

Christophe Chauvin
Cemagref

 

Le Morvan est un vaste massif forestier autour duquel, depuis plusieurs décennies, se cristallisent des conflits sociaux. Les élus locaux ont saisi l’occasion de mettre en place une Charte forestière de territoire. La concertation semble aboutir.

Dans l’après-guerre, la campagne française se vide de sa population et de grands programmes de reboisement sont entrepris, pour utiliser économiquement les terres abandonnées. Et dans les années soixante-dix, le Morvan se réveille avec la gueule de bois : les Parisiens, fuyant leurs cités pour retrouver la campagne de leur enfance, tombent sur des plantations forestières denses, vert linceul d’un monde révolu. Devant leurs cris, les forestiers se drapent dans leur légitimité de producteurs et de propriétaires : de toute façon, les arbres sont là, financés par l’État, on ne va pas les couper…
Cette situation va longtemps rester figée. Mais elle semble aujourd’hui changer, un nouveau dialogue s’étant construit entre résidents et forestiers. Que s’est-il passé ?
En premier lieu, les arbres ont grandi, formant aujourd’hui une véritable forêt, enfin pénétrable et donc réappropriable par la population avoisinante. Or cette forêt commence à produire de l’emploi, avec l’arrivée des premières éclaircies commerciales. Ces éclaircies contribuent à l’humaniser en y apportant la lumière, en mettant en valeur les plus beaux sujets.
Les hommes aussi ont évolué : ayant dépassé le simple rejet de la ville, ou du citadin, ils semblent aujourd’hui plus soucieux d’un certain art de vivre ensemble, dans un environnement commun.
Reste à trouver le déclencheur pour une sortie de crise sans gagnant ni perdant : pour qu’une nouvelle histoire puisse s’écrire où tout le monde, cette fois, s’y retrouve.
La première étape est la reconnaissance des acteurs entre eux, de leur droit à vivre sur le territoire commun. Pour cela, il faut un médiateur choisi et reconnu par les deux parties : le passeur, l’hybride qui combine les deux cultures. Dans le cas du Morvan, on peut souligner le rôle de l’expert forestier local, passionné de nouvelles sylvicultures, qui fera le lien entre les deux mondes.
On peut alors passer à l’étape suivante : le partage des représentations. Il faut pour cela un « lieu de transaction » et des « objets intermédiaires », permettant de passer des échanges de rhétoriques au partage du vécu. Là interviennent le Parc naturel régional et sa commission forêt, les réunions régionales pour la certification de la gestion forestière, la Charte forestière de territoire et son diagnostic initial (confié à l’expert forestier cité plus haut). On s’appuie aussi, plus concrètement, sur des parcelles de référence sylvicole, lieux d’observation et d’échange de vues, mis en place depuis plus de dix ans, sous l’impulsion… du même expert forestier.
Vient alors le moment des « gages ». D’abord les gages institutionnels : des places de responsabilité dans des groupes de travail, une prise en compte explicite dans les textes d’orientation. Puis des gages concrets sur le terrain, qui, sans nécessairement coûter, montrent une prise en considération effective des autres acteurs : par exemple le maintien négocié et la mise en valeur de certains arbres remarquables -feuillus mais aussi résineux-, ou la préservation de certaines ouvertures forestières, pour des raisons écologiques ou paysagères.
On peut enfin arriver à la phase active, créative, mobilisatrice : la construction commune des paysages de demain, sur la base non seulement de compromis négociés, mais surtout de projets partagés. Elle se fera dans une approche pas à pas, de recherche-action, sur la base d’essais suivis et évalués en commun… Dans le Morvan, cette construction s’articule autour du développement de la sylviculture irrégulière, sur la base du volontariat : l’idée de zonage est récusée, au profit de celle de contrat. Le contrat suppose la confiance, et, réussi, la nourrit en retour : telle voudrait être la logique vertueuse du « développement durable ».