Biodiversité, naturalité et naturadiversité
Espaces naturels n°7 - juillet 2004
Jean-Claude Génot
Chargé de la protection de la nature - Syndicat de coopération pour le Parc naturel régional des Vosges du nord, Réserve de biosphère.
Les professionnels de la conservation de la nature semblent d’accord : ils expriment un large consensus autour du concept de biodiversité. Sans doute parce que, comme le dit Raphaël Larrère1, chacun y trouve matière à justifier ses pratiques de gestion.
Le concept laisse d’ailleurs insinuer que, sans l’homme, il n’est pas pensable de sauver la nature ! Et, même, parfois, il devient difficile de faire reconnaître que la nature sait produire de la biodiversité. L’affirmer, c’est prendre le risque d’apparaître comme un dangereux fondamentaliste.
Est-ce pour contrarier cet élan unanime que certains écologues ont recours au terme de naturalité ? Comme s’ils voulaient faire la part entre diversité "fabriquée" et diversité 100 % naturelle ? J'ai moi-même un malin plaisir à parler de "naturadiversité" pour souligner la capacité de la nature à créer, seule, de la diversité.
Mais alors qu’est-ce que la naturalité ? Celle-ci se définit par le degré d'évolution spontanée d'un écosystème sans intervention humaine.
Évoquer la naturalité, c'est parler simplement d’une nature autonome ; une nature qui subsiste à la volonté de l'homme d'en modifier les caractéristiques biotiques et abiotiques ou la trajectoire dynamique.
Ce concept est surtout utilisé en forêt, parce que ce milieu est le système le plus mature dans notre contexte biogéographique.
Hors forêt, la nature libre et autonome, n'existe quasiment plus. Les protecteurs de la nature sont devenus des producteurs de nature qui prennent soin de la nature ordinaire dans des espaces spécialisés et mono fonctionnels, qui transforment la nature en jardin sous contrôle permanent.
Mais comment faisaient toutes ces espèces quand nous n'étions pas là pour les gérer ? Elles se déplaçaient, disparaissaient définitivement ou temporairement, se mettaient en sommeil dans l'attente de jours meilleurs ou d'un impact les favorisant. La nature est dynamique…
Face à une doctrine qui fait de l'intervention une norme, il est urgent d'adopter une éthique visant à limiter notre emprise sur les milieux. Au risque de perdre notre part de rêve et de liberté ; au risque d’égarer notre « complément indispensable », pour reprendre une expression de Robert Hainard2, nous devons changer d'attitude et faire preuve d'humilité vis-à-vis de la nature sauvage.
Faisons de la nature le seul reflet de notre orgueil et nous aurons perdu !
Refuser l’artifice en forêt, c’est dire non à des renforcements de grand tétras avec limitation des prédateurs pour ne pas domestiquer cet oiseau.
C’est préférer les arbres à cavités aux nichoirs car c'est une solution plus durable.
C’est refuser les herbivores domestiques pour l’entretien des clairières alors que les ongulés sauvages jouent déjà ce rôle.
C’est bannir, enfin, la batterie de mesures artificielles et incohérentes les unes avec les autres, proposées pour les sites Natura 2000.
L'avenir de la biodiversité forestière passe par une gestion intégrée, fondée sur une sylviculture proche de la nature et prenant en compte la dynamique naturelle. Il passe également par la création de réserves intégrales dignes de ce nom.
1. Sociologue Inra, coauteur d’un ouvrage intitulé : "Du bon usage de la nature. Aubier." 1997.
2. On doit de nombreux ouvrages de réflexion artistique et philosophique à cet artiste naturaliste suisse, mort en 1999. Citons : “Nature et mécanismes”. Éd. Hesse.