Biélorussie

L’écotourisme a fait long feu

 

Espaces naturels n°39 - juillet 2012

Vu ailleurs

Jean-Claude Génot
Chargé de mission protection de la nature - Sycoparc

 

Entre les réserves de biosphère de Berezinsky et des Vosges du nord, une coopération vise notamment à mettre en place un écotourisme, au sens originel du contact avec la nature. Les autorités lui ont préféré un tourisme sans boue, sans effort et sans âme.

1992. Le début de ce qui va devenir une longue coopération se met en place entre la réserve de Berezinsky et le Parc naturel régional des Vosges du nord. Côté biélorusse, la réserve cherche à développer l’écotourisme et formule le besoin d’une aide technique.
Entre les définitions de l’écotourisme nord-américaine et européenne, plus proche du tourisme durable, l’écotourisme à la biélorusse doit s’entendre dans son sens premier : s’appuyer sur l’intérêt pour la nature, contribuer à la conservation, avoir un faible impact environnemental, des retombées pour les populations locales et une responsabilité éthique.
Il faut dire que Berezinsky cumule les atouts : des milieux sauvages à forte naturalité (tourbières, marais, forêts, lacs glaciaires, la mythique rivière Berezina), certaines espèces rares ou disparues des pays occidentaux (bisons, ours, loups, lynx, loutres, aigles, tétraonidés…), des richesses culturelles comme les maisons en bois, la pratique du sauna et les produits de la nature (baies, champignons, poissons). Et que dire de la convivialité propre aux pays slaves, surtout après quelques verres de vodka !
L’écotourisme constitue également une alternative au tourisme de chasse, dont les dérives sont soulignées par les scientifiques.

Tout feu, tout flamme. En 1994, les deux sites protégés signent leur accord de coopération (1). Le Syndicat de coopération pour le Parc naturel régional des Vosges du nord (Sycoparc) fait appel à des experts financés par le Conseil de l’Europe, comme Sylvie Blangy et David Kent. Ces derniers analysent les potentialités de développement de l’écotourisme à Berezinsky et ébauchent une stratégie.
Des séjours naturalistes pour spécialistes et généralistes sont créés, formalisés sur des fiches afin de prospecter des voyagistes, ils sont organisés dès 1996. Un programme est élaboré afin d’améliorer les capacités d’accueil, développer le savoir-faire des guides locaux et limiter les impacts négatifs de certaines formes de tourisme naturaliste. Ainsi, la réserve refuse de faire appel au nourrissage artificiel pour attirer la faune sauvage à des postes d’observation (ce qu’elle fait dans la réserve de chasse pour faciliter l’obtention des trophées par les chasseurs).
Le Sycoparc initie alors les premiers voyages nature pour des touristes francophones avec Cap Nature. Il guide un premier groupe, puis développe l’offre de voyages avec des voyagistes comme Atalante, Le Balkan et Great Glen Wildlife. À partir de 1997, de nombreux voyages ont lieu, principalement au printemps et en automne.
Le Sycoparc aide aussi Berezinsky à se faire connaître auprès du public naturaliste français et des voyagistes en réalisant une pochette de présentation des voyages nature avec le financement des régions Alsace et Lorraine. Enfin, le Sycoparc joue le rôle « de représentant » en France de Berezinsky pour toute personne souhaitant s’y rendre.

Dur dur. Au sein de l’équipe biélorusse, des personnes sont suffisamment motivées pour que l’écotourisme se développe assez vite. Parmi elles, l’ornithologue de la réserve et le guide de chasse, excellents connaisseurs de la faune.
Les difficultés ne manquent pas cependant. Face à la barrière de la langue, la réserve fait appel à des interprètes extérieurs. Puis, très vite, elle engage une personne à temps plein qui encadre l’accueil des visiteurs étrangers.
La dynamique du projet est également entamée par la difficulté de mobiliser des ressources humaines : motivation, compétence et formation ne sont pas toujours au rendez-vous. Aussi, dans un premier temps par exemple, des forestiers, plus habitués à guider des chasseurs, sont mobilisés pour guider des groupes avec des fortunes diverses. Il faut se rendre à l’évidence : il vaut mieux faire appel aux scientifiques de la réserve.
Les relations entre les personnels impliqués dans le projet et les autres posent également problème. Une réserve de type soviétique est un « petit » monde. Chacun se connaît et tout se sait. Les pourboires versés par les écotouristes génèrent jalousies et rancœurs. De nombreux voyageurs offriront également des objets utiles et certains voyagistes feront don à la réserve de matériels tels que longue-vue, jumelles, skis, gants et ouvrages naturalistes.
Depuis 20 ans, sept directeurs se sont succédé à Berezinsky. Chaque fois, il a fallu convaincre de l’intérêt de poursuivre l’expérience. Même si certains ont compris le sens de cette activité, leur décision a toujours été sous le contrôle du département des affaires de la présidence, l’autorité de tutelle de la réserve.
Enfin, il y a eu de nombreux débats pour faire comprendre à Berezinsky que les écotouristes préfèrent loger dans une datcha rustique en bois que dans un hôtel de type soviétique qui, même rénové, n’est pas très convivial.

Déclin. Ces dernières années, l’écotourisme a décliné. Berezinsky ne reçoit plus que des visiteurs ponctuels d’ailleurs plus aucun voyagiste ne met cette destination à son programme. En effet, la réserve n’a pas entretenu les contacts qu’il fallait avec les voyagistes et n’a pas su se conforter face aux facteurs de fragilité décrits précédemment. Le manque d’intérêt de la part des autorités de tutelle pour cette forme de tourisme doux est évident. Elles ont préféré faire des investissements lourds dans le but de développer un tourisme classique avec un hôtel rénové mais sans cachet, des cabanons en bois standardisés autour d’une mare artificielle et un zoo installé en forêt pour un public urbain qui ne veut pas salir ses chaussures. Le public visé vient des villes voisines et de la capitale pour passer un week-end, se promener le long d’un sentier pédagogique, pêcher, faire des barbecues et boire sans limite.
Pendant ce temps, le tourisme de chasse, lui, continue. •

1. Initié sous l’égide de l’Unesco, au sein du réseau Euromab.