>>> Parc national des Cévennes

Les cerfs, les chevreuils et la forêt

 
s’employer à rétablir l’équilibre

Espaces naturels n°7 - juillet 2004

Le Dossier

Jean de Kermabon
Parc national des Cévennes
Philippe Ballon
cemagref
Richard Larchevêque
Parc national des Cévennes

Maintenir un équilibre faune/forêt… Un biais trop facile voudrait qu’on développe une régulation volontariste des populations de cervidés. Mais l’efficacité serait toute relative. Sur son très vaste espace, le Parc et ses partenaires1 ont développé une action complexe. Elle consiste à la fois à gérer le milieu, afin de le rendre moins sensible, et à affiner les plans de chasse. Au fil des ans, l’équilibre agro-sylvo cynégétique retrouvé, le Parc insiste sur la nécessité d’agir de concert. La participation de tous, aux décisions et à la gestion sont des conditions sine qua non de la réussite.

Les populations de cerfs et de chevreuils ont fortement progressé ces dernières décennies. Cette évolution a également touché le Parc national des Cévennes dans lequel 136 cerfs et 83 chevreuils ont été réintroduits dans les années 1975. Depuis cette date, le Parc a mené une politique destinée à maintenir un équilibre. Les mesures touchent l’aménagement du milieu et du plan de chasse. Dans ce territoire, en effet, les activités forestières et agricoles jouent un rôle déterminant et la pression des cervidés peut constituer un déséquilibre. La forêt y occupe 63 % de la zone centrale. Or, l’importance de la surface couverte par les feuillus et l’abondance de leurs fruits sont très favorables aux cervidés.
En liaison avec le Cemagref et l'Inra, le Parc a élaboré un suivi de l’équilibre milieu/populations, basé sur le principe d’un faisceau d’indicateurs biologiques. Ces suivis permettent notamment de connaître l’impact des cervidés sur la végétation forestière. Trois indices ont ainsi été élaborés : l’indice de pression sur la flore (IPF) ; l’indice d’abondance du chevreuil (IK), le suivi de la réalisation des plans de chasse, tous les animaux abattus dans le parc faisant l’objet d’un constat.
Le Parc consacre une énergie considérable à cette surveillance qui porte sur une très vaste surface2. Les protocoles représentent, à eux seuls, le tiers de l’effort total de connaissance consacré par le Parc à la faune, soit environ 415 jours par an, pour 34 agents du Parc et 15 agents de l’ONF, ainsi que des chasseurs et gendarmes pour la réalisation des constats de tir.
Parallèlement à l’augmentation des populations de cervidés, des dégâts aux peuplements forestiers ont été observés, tout d’abord localisés dans certains secteurs et sur des régénérations artificielles feuillues. Puis, à partir des années 1990, les dommages liés à l’abroutissement et à l’écorçage par le cerf ont eu tendance à se développer. En 2000, la surface forestière sensible aux dégâts forestiers par les cervidés représentait environ 1 140 ha. Sur cette surface, près de 500 ha étaient affectés significativement. Les problèmes furent surtout identifiés dans quelques cas extrêmes où la régénération du sapin pectiné souffre localement d’une forte pression d’abroutissement.
Ainsi, les graphiques de l’évolution des indices (ci-contre) montrent que ces dommages varient fortement d’un massif à l’autre. On peut y distinguer trois types d’évolutions possibles : des massifs où existe une stabilisation voire une diminution des indices (le mont Lozère sud, les vallées cévenoles et l’Aigoual nord), un massif à évolution plus lente (l’Aigoual sud), des massifs en cours de colonisation (mont Lozère et Causse).
Accroître les attributions
Dès 1981, et sans attendre de constater une pression des populations de cervidés sur son territoire, le Parc entame une gestion concertée avec les acteurs concernés. Sept massifs d’une dizaine de milliers d’hectares en moyenne sont définis et constituent les véritables unités de gestion pour ces espèces. Le bilan annuel des suivis est fourni, courant mai et juin, à tous les membres des différentes commissions du Parc, pour leur permettre de mieux appréhender ces évolutions et d’établir leurs propositions d’attributions3 pour les plans de chasse. Au vu des résultats, le Parc et ses partenaires ont décidé de réduire fortement les populations de cervidés pour revenir à la situation du début des années 90 qui, pour la majorité des partenaires, correspondait à un équilibre. L’apparition d’IPF élevés dans certains secteurs du Parc a justifié des mesures fortes, comme l’accroissement des attributions des plans de chasse et, en 1994, les tirs d’élimination dans les zones interdites à la chasse.
Dès 1981, le Parc avait d’ailleurs mené un effort important pour convaincre les chasseurs de la nécessité de réaliser les plans de chasse. Au sein de la commission cynégétique et en conseil d’administration, les débats furent longs et animés. On y mit au point une gestion rationnelle des populations, avec des modalités adaptées aux conditions locales (habitudes de chasse, difficultés du relief…). En vingt ans, les attributions sont passées de quelques individus à 458 cerfs et 1 032 chevreuils.
Au-delà de l’augmentation des attributions, une série de mesures, visant à faciliter la réalisation des tirs, a été adoptée : simplification des modalités et catégories d’animaux, augmentation du nombre de jours de chasse, aménagements de terrain… Cette chasse nouvelle fait d’ailleurs l’objet d’une appropriation progressive par un petit nombre de passionnés qui ne cesse d’augmenter.
Régénérer la forêt
Le maintien d’espaces ouverts constitue un enjeu primordial du Parc et un outil essentiel pour la gestion des populations animales. En ce qui concerne la forêt, l’objectif est de favoriser les mesures préventives qui renforcent les capacités d’accueil et augmentent la résistance naturelle ou artificielle de ces milieux. Ces mesures sont prises dans le cadre des Orientations régionales forestières (ORF) avec les recommandations suivantes : privilégier la variété des traitements permettant des peuplements stratifiés riches en essences secondaires feuillues en sous-étage, réaliser des entretiens maintenant une végétation d’accompagnement jouant le rôle de protection physique et augmentant les disponibilités alimentaires, avoir de préférence recours aux essences autochtones et à la régénération naturelle, gêner l’accès aux arbres d’avenir, en évitant des couloirs de circulation (type cloisonnement) et en supprimant les élagages inutiles.
Sur l’espace agricole, les contrats faune, ainsi que des cultures de dissuasion et des dispositifs de protection des cultures (de façon à limiter l’impact des cervidés et des sangliers) ont été mis en place avec les agriculteurs. Le Parc consacre également une part importante de ses moyens à la sensibilisation et à la communication : journées techniques avec les forestiers, réalisation d’une vidéo tout public « Vivre avec la grande faune », festival nature…
Si une inflexion des tendances, plus nette pour le chevreuil que pour le cerf, se fait actuellement sentir, l’action doit se poursuivre en allégeant les protocoles et en généralisant les méthodes de suivi et les mesures de gestion à la zone périphérique du Parc. n
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1. ONF, chasseurs, organismes scientifiques.
2. Parc national des Cévennes : 92 000 ha.
3. Attributions : dans le cadre des plans de chasse, nombre et éventuellement catégories (sexe, âge, taille…) d’animaux autorisés à être prélevés (donc attribués) pour chaque zone.